L’urgence est à combattre

A la suite des attentats du 13 novembre, le gouvernement a décrété l’état d’urgence sur tout le territoire, puis l’a prolongé, au travers d’une loi adoptée par le Parlement les 19 et 20 novembre, pour 3 mois à compter du 26 novembre. Selon le gouvernement et le Président de la République, cette mesure est « nécessaire » afin de protéger les habitants de la France contre la menace terroriste. Deux questions se posent : les pouvoirs dont l’état d’urgence dote le gouvernement permettront-ils réellement de lutter contre le terrorisme ? Peut-on faire confiance aux autorités pour utiliser ces pouvoirs à bon escient ?

A la lecture des textes de loi, il apparaît rapidement que les pouvoirs confiés aux représentants de l’Etat sont tout à fait exorbitants. Sur le plan des libertés publiques : le préfet peut supprimer la liberté de circulation en instaurant le couvre-feu et en interdisant certaines zones à la circulation. Il peut également supprimer la liberté de réunion et « ordonner la fermeture provisoire des salles de spectacle, débits de boissons et lieux de réunion » ou interdire « les réunions de nature à provoquer ou à entretenir le désordre », par exemple des manifestations.

Sur le plan des libertés personnelles : le préfet peut ordonner des perquisitions de jour comme de nuit chez n’importe quelle personne sans avoir à justifier de ce qu’il recherche. Il peut également assigner des personnes à résidence pour une durée déterminée, les obliger à pointer au commissariat ou leur interdire de quitter leur commune. Le tout sans procès ni passage devant un juge d’instruction.

Ces restrictions drastiques des libertés démocratiques élémentaires permettront-elles de lutter efficacement contre les activités de Daesh en France ? Il est permis d’en douter pour plusieurs raisons. En effet, elles n’apportent pas vraiment de pouvoirs nouveaux dans la poursuite des terroristes. Une personne suspectée d’être liée à une entreprise terroriste peut déjà faire rapidement l’objet d’une perquisition, même de nuit, décidée par un juge d’instruction. L’assignation à résidence, le couvre-feu ou l’obligation de pointer au commissariat ne sont pas de nature à empêcher des personnes déterminées à sortir de chez elles pour commettre des attentats, surtout s’il s’agit de kamikazes. Ces mesures ne créent pas une barrière magique autour des endroits ou des personnes qu’elles ciblent ; elles visent à empêcher les personnes de se déplacer par la menace d’une condamnation. Mais quel genre de condamnation pourrait faire reculer une personne décidée à tuer et mourir ?

Même si elles peuvent marginalement gêner les opérations terroristes en rendant moins fluide la circulation des personnes et des armes, ces mesures sont absolument impuissantes à empêcher une attaque coordonnée. Cela obligera peut-être les terroristes à changer de cible ; ils préféreront frapper là où il n’y a pas de protection.

D’après Mediapart, sur quelque 1600 perquisitions administratives décidées lors des deux premières semaines d’état d’urgence, une poignée seulement a débouché sur la découverte d’infractions, souvent de droits communs – comme la détention de cannabis. La personnalité de certaines personnes visées laisse parfois dubitatif quant à leurs liens avec le terrorisme : maraîchers bios, militants écologistes, squatteurs... Il est clair que les préfectures ratissent large et avec une efficacité quasi nulle en ce qui concerne la lutte contre le terrorisme islamiste.

Mais cette vaste opération menée à grand renfort de mesures attentatoires aux libertés a-t-elle vraiment pour but de lutter contre le terrorisme ? Il est également permis d’en douter. De toute la France affluent les témoignages sur les bavures et les abus de pouvoir commis par les policiers, sous couvert de l’état d’urgence. A Nice, une enfant de 6 ans a été blessée lors d’un assaut du RAID (source Nice Matin). A Aubervilliers, la mosquée de la Fraternité a été saccagée par la police alors que l’imam, réveillé à minuit, était tout à fait disposé à ouvrir la porte aux policiers (L’Obs). A Paris, un couple a été battu dans son appartement et mis en garde à vue par des policiers pour s’être opposé, depuis sa fenêtre, au tabassage en règle que les policiers faisaient subir à un homme à terre (Rue89).

De nombreux autres exemples pourraient être cités ici. Toutes ces mesures n’ont rien à voir avec la protection des citoyens. Elles visent d’une part à donner un sentiment de sécurité aux citoyens effrayés, sans doute avec une arrière-pensée électorale de la part de Hollande et Valls. D’autre part, elles permettent à l’Etat, en tant que corps distinct placé au-dessus de la société, d’intensifier sa violence à l’égard de celle-ci, notamment vis-à-vis des travailleurs et de leurs organisations. Ainsi, de nombreuses manifestations ont été interdites, officiellement pour des raisons de sécurité. Pourtant, de grands événements publics, comme les différents marchés de Noël, sont quant à eux maintenus. 2000 salariés actuellement en lutte, travaillant pour Servair, filiale d’Air France, ont ainsi vu leurs casiers fouillés et des biens qu’ils contenaient – notamment des objets supposés volés – transmis à la direction, qui prononcera sans doute des licenciements (Libération). Clairement, l’état d’urgence est une aubaine pour tous les éléments les plus réactionnaires au sein de l’appareil d’Etat, qui entendent s’en servir afin de museler le mouvement des travailleurs, dont le mécontentement va croissant depuis le début de la crise économique.

L’état d’urgence est donc moins une arme dirigée contre le terrorisme qu’un instrument permettant aux forces réactionnaires de poursuivre et d’intensifier la politique antisociale du gouvernement de Manuel Valls à l’aide de nouveaux moyens. Pour les travailleurs de notre pays, l’urgence est donc à la mobilisation contre les reculs des libertés démocratiques qu’on cherche à nous imposer.