Perspectives mondiales 2008 – Deuxième partie

French translation of World Perspectives 2008 draft - Part Two (January 15, 2008)

Ce texte, achevé en janvier 2008, est la première partie du document « Perspectives Mondiales » qui sera discuté et amendé lors du Congrès mondial de la Tendance Marxiste Internationale, en août. Les autres parties seront mises en ligne dans les prochaines semaines.

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L’Europe

Le processus d’intégration de l’Union Européenne est désormais au point mort. C’est apparu clairement lors du sommet européen de 2007, qui était supposé parvenir à un accord sur une nouvelle constitution européenne, mais n’a fait que souligner les profonds désaccords qui opposent les différentes classes capitalistes européennes. Ceci-dit, plus de deux ans après les « non » français et néerlandais au Traité constitutionnel, les premiers ministres et présidents européens ont sauvé des pans entiers de l’ancien texte et les ont mis bout à bout pour rédiger un nouveau « traité ».

Il n’était pas possible d’espérer faire fonctionner une Europe à 27 sur la base des règles conçues pour un bloc de 15 nations. Le projet visant à réorganiser le système de vote s’est immédiatement heurté à l’opposition des Polonais. En conséquence, les autres pays ont été obligés d’accepter que le système de vote actuellement en vigueur perdure jusqu’en 2014, date à laquelle débutera une période de transition de trois ans. Au terme de cette période, l’UE pourra, si elle le décide, en revenir à l’ancien système. En d’autres termes, toute l’affaire prendra au minimum 10 ans.

La tendance à l’intégration de l’UE, qui semblait irrésistible, reposait sur la croissance économique. Mais le processus s’est interrompu. La Banque Centrale européenne a porté ses taux d’intérêt à 4%, en juin 2007. C’était la huitième augmentation d’un quart de point depuis décembre 2005. Les capitalistes européens redoutent l’inflation – et l’on peut s’attendre à de nouvelles augmentations des taux d’intérêt de la BCE. Quant à la croissance, elle ne devrait pas dépasser les 2% en 2008.

Dans ces conditions, le processus d’intégration s’est interrompu et pourrait même être inversé au cours de la prochaine période, lorsque ressurgiront les contradictions entre les différents Etats-nations. Certes, un démantèlement de l’Union européenne est peu probable. Face à la concurrence des Etats-Unis et de la Chine, les capitalistes européens vont s’efforcer de rester unis. Mais le projet d’un super-Etat européen capable de concurrencer les Etats-Unis est en ruine.

La plupart des économies de la zone euro ont connu une faible croissance. Les 0,6% de croissance du PIB, au premier trimestre 2007, ont été salués comme un grand succès ! Mais dorénavant, ils ne peuvent même plus espérer atteindre ce type de croissance. La chute du dollar pousse l’euro vers des niveaux record, ce qui pénalise les exportations européennes.

La monnaie chinoise, liée au dollar, recule également face à l’euro. Cela irrite au plus haut point Bruxelles, qui menace de s’engager dans une politique de représailles économiques contre la Chine et les Etats-Unis. Il s’agit là des premières manifestations de tendances protectionnistes qui se renforceront inévitablement dans la période à venir, avec à la clé un ralentissement de l’économie – voire une récession.

Dans tous les cas, la croissance économique de la dernière période n’a rien résolu et n’a fait qu’accroître l’indignation des travailleurs : ils constatent qu’ils ne sont pas rétribués à la hauteur des efforts croissants que leur impose la rapacité patronale. Toutes les conditions sont réunies pour une intensification de la lutte des classes dans tous les pays de l’UE. De notre point de vue, le prolongement d’une faible croissance serait le meilleur scénario. La récession n’entraîne pas nécessairement l’augmentation de la lutte des classes. Et en même temps, l’actuelle croissance économique n’apportera pas la « paix sociale », comme on a pu le constater avec les grèves massives qui ont lieu en France.

En France, la victoire de Sarkozy a été immédiatement suivie d’une explosion de grèves chez toute une série de catégories de travailleurs. Le taux de chômage avoisine les 10%, mais chez les jeunes de moins de 25 ans, il s’élève à près de 20% – et à 40-50% chez les jeunes originaires d’Afrique du Nord. Telle était la raison fondamentale des émeutes de novembre 2005. Depuis, de nouveaux signes d’effervescence se sont manifestés chez les jeunes chômeurs d’origine maghrébine.

Les étudiants se sont fortement mobilisés contre la « réforme » de l’enseignement supérieur. Ces mobilisations attestent du mécontentement qui s’est accumulé depuis plusieurs décennies. C’est précisément ce qui a mené à Mai 68 – et le même scénario pourrait bien se reproduire. L’Allemagne, qui a longtemps été la locomotive économique de l’Europe, a affiché un taux de chômage élevé tout au long de la dernière période. D’importantes grèves de cheminots et d’autres catégories de salariés ont eu lieu. De plus, selon les sondages d’opinion, 20% des électeurs se rangeraient derrière le parti « la Gauche » (Linke), ce qui exprime une fermentation politique.

En Italie, 500 000 personnes ont manifesté à Rome contre la contre-réforme des retraites. Au Danemark, pas moins de 100 000 personnes se sont mobilisées contre – là aussi – une remise en cause des retraites. Proportionnellement à la population, la manifestation danoise a rassemblé davantage de monde que celle de Rome. Cela montre bien que les travailleurs ne sont pas prêts à accepter le démantèlement des acquis sociaux. L’Italie est aujourd’hui « l’homme malade » de l’Europe. Par le passé, les capitalistes italiens cherchaient à sortir d’une crise économique en dévaluant la lire et en augmentant le déficit budgétaire. Mais ce n’est plus possible. La monnaie unique impose de contenir les déficits budgétaires et exclu(e)t toute dévaluation. Pour les capitalistes italiens, la seule issue possible est une confrontation directe avec les travailleurs. Ils vont chercher à reprendre tout ce qu’ils ont concédé au cours des cinquante dernières années. En conséquence, toutes les conditions d’une explosion de la lutte des classes sont réunies.

En Grèce, trois mois seulement après les élections qui ont reconduit Nouvelle Démocratie (conservateur) au pouvoir, un large mouvement de protestation réunissant la grande majorité de la population a vu le jour suite aux attaques du patronat contre le système de sécurité sociale. L’appel à la grève générale de 24 heures du 12 décembre 2007 a été lancé par les deux principales centrales syndicales, la GSEE (cadres et ouvriers) et l’ADEDY (secteur public), qui représentent près de 2,5 millions de travailleurs grecs. La grève a également mobilisé des avocats, des journalistes, des commerçants, des patrons de petites entreprises et des ingénieurs. L’ensemble des principaux moyens de transport (métro, bus, bateaux, aéroports) a été entièrement paralysé pendant 24 heures. Le métro n’a fonctionné que quelques heures pour acheminer les manifestants au point de rendez-vous.

Le taux de grévistes était de 80 à 100% dans la plupart des grandes entreprises publiques et privées du pays. Comme on pouvait s’y attendre, le taux de participation n’a pas été très élevé dans les petites entreprises qui comptent peu de salariés et où la présence syndicale est faible. Néanmoins, nombre des travailleurs de ces entreprises ne (se) sont pas allés au travail en invoquant l’absence de transports publics ou des « raisons de santé ». En réalité, ils ont pris part à la grève.

Il y a eu 64 manifestations dans tout le pays. Bien entendu, les rassemblements les plus importants ont eu lieu à Athènes. La plus grosse manifestation a été celle organisée par la GSEE et l’ADEDY, qui a réuni 50 à 60 000 travailleurs. L’autre manifestation, organisée par le PAME (le front syndical du KKE, le Parti Communiste grec), a rassemblé 20 à 25 000 personnes. Toutes ces manifestations étaient animées d’un esprit très militant.

Ainsi, trois mois à peine après sa réélection, le gouvernement Karamanlis se trouve dans une situation très difficile. Même avant la grève générale, les sondages d’opinion révélaient déjà que 70% de la population grecque désapprouvait la politique du gouvernement sur la sécurité sociale, et que 58% désapprouvait également la politique économique menée par la Nouvelle Démocratie – tout comme celle prônée par les dirigeants du PASOK. Même 25% des électeurs de la Nouvelle Démocratie se disaient en total désaccord avec la politique économique menée par le gouvernement.

L’idée du gouvernement était d’attaquer la classe ouvrière immédiatement après sa réélection. Mais son maintien au pouvoir pourrait être compromis, étant donnée la très courte majorité dont il dispose au parlement (différence de deux sièges). Là encore, on ne peut que constater la faiblesse de la bourgeoisie et les difficultés qu’elle rencontre pour mener sa politique d’austérité.

En Espagne, on constate une polarisation croissante entre la droite et la gauche – malgré une période de croissance économique soutenue. La droite (PP) et l’Eglise adoptent un langage inédit depuis la veille de la guerre civile, au début des années 1930. Bien entendu, ce n’est pas la perspective immédiate pour l’Espagne ou tout autre pays européen. Mais les choses vont évoluer. La bourgeoisie parviendra à la conclusion qu’il y a trop de grèves, trop de manifestations, trop d’« anarchie » – et que « l’ordre » doit être restauré.

Les gouvernements réformistes préparent toujours le terrain à des gouvernements toujours plus à droite. A un certain stade, il peut y avoir un mouvement en direction du bonapartisme, en Europe, ce qui provoquerait une plus grande polarisation et une intensification de la lutte des classes. La démocratie bourgeoise n’est pas quelque chose de donné une fois pour toutes. Les événements qui ont cours en Amérique latine peuvent très bien se produire en Europe – aussi bien en termes de tendances révolutionnaires que de tendances contre-révolutionnaires.

Cependant, ce ne sont pas là des perspectives immédiates. A la différence des années 30, les contradictions sociales ne peuvent aujourd’hui se résoudre rapidement par un mouvement révolutionnaire ou contre-révolutionnaire. A cela, plusieurs raisons. Le rapport de force est largement favorable à la classe ouvrière. La base de masse de la réaction – dans la paysannerie et la petite-bourgeoisie des années 1930 – a été considérablement réduite. Dans la plupart des pays, les organisations fascistes sont très petites. Bien que de plus en plus violentes et bruyantes, elles ne peuvent plus jouer le rôle qu’elles ont joué par le passé. Pour s’en convaincre, il suffit d’observer la tendance politique des étudiants, aujourd’hui : la plupart défendent des idées de gauche, alors qu’ils inclinaient souvent vers le fascisme avant 1945.

Dans ces conditions, la classe dirigeante ne peut immédiatement s’orienter vers le bonapartisme ou le fascisme. Mais de son côté, la classe ouvrière ne peut s’orienter immédiatement vers la conquête du pouvoir, car ses organisations de masse traditionnelles se sont transformées en puissants obstacles sur la voie de la révolution socialiste. L’équilibre instable qui existe, aujourd’hui, entre les classes, peut très bien se perpétuer pendant plusieurs années, avec des hauts et des bas. Mais la crise du capitalisme finira par produire ses effets – et produit déjà ses effets. Les masses apprendront de leur expérience – et à un certain stade s’orienteront vers la conquête du pouvoir, comme ce fut le cas dans les années 1970.

L’Irak

En Irak, malgré la présence d’un grand nombre de soldats dotés de l’armement le plus moderne qui soit, les Américains ont perdu la guerre. Cela a provoqué une crise du régime. La classe dirigeante a perdu confiance en Bush. Comme avec Nixon, à l’époque, il était facile de le mettre au pouvoir, mais il est beaucoup plus difficile de l’en écarter. L’Iraq Study Group, dirigé par James Baker, un fidèle représentant de la classe dirigeante, a donné à l’administration Bush quelques conseils assez bons, du point de vue de la bourgeoisie américaine. Il (ont) a dit : « Nous avons perdu la guerre. Il faut donc se retirer d’Irak le plus vite possible. Trouvons un accord avec la Syrie et l’Iran, et laissons-les remettre de l’ordre ».

Au lieu de cela, George Bush a envoyé davantage de troupes en Irak et menacé l’Iran. Son slogan est : « un dernier effort et on gagnera. » Cela fait penser aux généraux de la première guerre mondiale, qui passaient leur temps à ordonner aux soldats de lancer « une toute dernière offensive ». Désormais, le « déferlement » est en place, avec 21 000 soldats supplémentaires, soit un total de 31 000 soldats à Bagdad et 160 000 à l’échelle nationale – le plus haut niveau depuis fin 2005.

Après avoir « sécurisé » Bagdad, les troupes américaines se sont attaquées à la « ceinture sunnite », en particulier les villes sunnites au sud de Bagdad : Mahmudiya, Latifiya et Yusufiya. Mais cela n’a rien réglé. Les guérillas se sont simplement déplacées. Par ailleurs, quelques 2,2 millions d’Irakiens – sur une population de 27 millions – ont dû fuir le pays. Et d’après l’ONU, 2 millions d’Irakiens ont été déplacés à l’intérieur du pays.

Tôt ou tard, les Américains devront quitter l’Irak. Ils essayent de mettre en place un Etat qui tienne le coup lorsqu’ils partiront. Mais en dernière analyse, l’Etat, ce sont des hommes en armes. La police irakienne était constituée de 188 000 hommes entraînés par les Américains. Mais à la mi-2007, il y en avait 32 000 en moins, dont 8 à 10 000 qui étaient morts, 8 à 10 000 blessés, et 5000 qui avaient déserté. L’armée irakienne – de 137 000 hommes – est supposée être de meilleure qualité, mais elle est impuissante face aux insurgés.

Les choses ne vont pas mieux sur le front politique. Les Américains demandent que les Irakiens érigent un gouvernement, une police et une armée disposant d’une base nationale. Mais le soi-disant gouvernement d’union nationale est constitué de fractions rivales qui se disputent la part du lion. Il y a une guerre civile sanglante en Irak. Le gouvernement et les Américains ne peuvent résoudre le problème. En fait, c’est l’impérialisme américain qui a provoqué ce cauchemar. Il a allumé les flammes des conflits sectaires lorsqu’il s’est appuyé sur les Kurdes et les Chiites contre Saddam Hussein, qui s’appuyait sur les Sunnites. Désormais, la situation échappe complètement à son contrôle.

Le général Petraeus a candidement admis que le « déferlement » serait vain si la marge de manœuvre que ses trouves s’efforcent de créer n’était pas utilisée par le gouvernement pour intégrer davantage de Sunnites. Les maîtres du général Petraeus, à Washington, savent que si la marionnette Maliki n’arrive pas à faire mieux, toute l’opération sera condamnée à l’échec – sur fonds de pertes croissantes dans les rangs de l’armée américaine.

Ils essayent de se consoler avec le fait que, jusqu’à récemment, le Kurdistan est resté relativement calme. « Le Nord est OK », disent-ils souvent. Mais les pires bains de sang auront précisément lieu dans le Nord. Le Kurdistan est ethniquement mixte. La question nationale ne peut être résolue sous le capitalisme – ni en Irak, ni ailleurs. Désormais, tous s’affrontent : Sunnites, Chiites, Kurdes, Turkmènes, et d’autres groupes.

La Turquie menace l’Irak. Ankara n’acceptera jamais un Kurdistan indépendant à sa frontière. Le Parti des Travailleurs Kurdes (PKK) a repris sa guérilla à l’intérieur de la Turquie et a des bases dans le Kurdistan irakien. Le Parlement turc a voté une résolution permettant à l’armée d’intervenir en Irak. Elle a déjà amassé des forces à la frontière et lancé des incursions. Si l’Irak commence à se briser suivant des lignes ethniques, la Turquie occupera la zone autour de Mosul et Kirkuk, dont elle lorgne déjà les champs pétroliers. Un tel développement aggravera les conflits et l’instabilité dans la région.

Crise aux Etats-Unis

Les impérialistes ne font pas la guerre pour le plaisir – mais pour le pillage, les marchés et les sphères d’influence. Cependant, ils ne tirent pas d’argent de l’Irak. Au contraire, la guerre leur coûte des sommes colossales : au moins deux milliards de dollars par semaine, auxquels s’ajoutent des milliers de morts et de blessés. L’Irak a la troisième plus grande réserve de pétrole au monde. Mais cela ne sert pas à grand chose tant que le brut reste sous terre. Après 17 ans de guerre et de sanctions, l’infrastructure pétrolière est dans un état critique. Le rendement demeure bien inférieur à celui (déjà faible) d’avant la guerre – qui était de 2,5 millions de barils par jour.

Les militaires sont pessimistes et le reconnaissent de plus en plus ouvertement. Le général Petraeus a prévenu que les « opérations de contre-insurrection peuvent durer neuf à dix ans ». Mais ils ne disposent pas de neuf à dix ans. L’opinion publique, aux Etats-Unis, est désormais majoritairement opposée à la guerre. Même de nombreux Républicains en ont assez.

Quoi que fassent les Américains, désormais, ce sera une erreur. S’ils restent en Irak, cela signifiera plus de victimes et ne résoudra rien. La popularité de Bush s’est effondrée en grande partie du fait de la guerre en Irak. La liste des morts et des blessés continue de s’allonger. Parmi eux, un nombre disproportionné de soldats victimes de la guerre sont des latinos ou des noirs issus de familles pauvres.

Au fond, c’est une question de classe. Si l’occupation continue, elle pourrait provoquer des mouvements de masse, aux Etats-Unis, semblables à ceux d’il y a 40 ans contre la guerre au Vietnam. Cela peut même provoquer une crise du régime aux implications révolutionnaires. La combinaison d’une récession économique (avec la chute conséquente des niveaux de vie), du chômage, de saisies d’hypothèques et de la guerre constitue un cocktail explosif.

Mais si les Américains se retirent d’Irak, ce sera encore pire. Ils laisseront derrière eux une situation chaotique qui pourrait même provoquer une partition de l’Irak. Cela déboucherait sur une plus grande instabilité, le risque de guerres régionales et un développement du terrorisme – c’est-à-dire exactement l’opposé de ce que voulait l’administration américaine.

En automne 2007, alors que Bush brandissait des menaces militaires contre l’Iran, la presse a publié d’importantes révélations sur l’Iran – l’« Etat voyou » favori du président Bush. Des sources inconnues ont indiqué que les services secrets américains avaient établi depuis un certain temps que l’Iran n’a aucune possibilité immédiate d’acquérir l’arme nucléaire. Cette information contredisait tout ce que Bush avait affirmé au cours des mois précédents. Bush avait précisément dit qu’il fallait (de) prendre des mesures immédiates contre l’Iran, car son régime était susceptible d’acquérir des armes nucléaires à n’importe quel moment.

Comment Bush a-t-il réagi à ceci ? A-t-il abandonné sa propagande fallacieuse au sujet de l’arsenal nucléaire imaginaire de Téhéran ? A-t-il immédiatement annoncé l’abandon des plans pour une action militaire contre l’Iran ? Non, il n’a rien fait de tel. Il a répété toutes les mêmes absurdités et a réitéré ses menaces contre l’Iran. Et le gouvernement israélien s’est joint à lui, affirmant que ses propres services secrets contredisaient les informations publiées par la presse américaine. Evidemment, les faucons d’Israël sont enthousiastes à l’idée d’attaquer l’Iran, et ils ne veulent être privés de ce plaisir par personne.

Qui était derrière ces révélations ? Qui que ce soit, il s’agissait de quelqu’un de haut placé, avec un accès privilégié à des informations extrêmement sensibles. Il semble très probable qu’une section de l’Establishment ait décidé d’empêcher une nouvelle aventure militaire au Moyen-Orient en révélant des informations qui montrent que toute la propagande de l’administration Bush sur l’Iran est aussi exacte que les vieux mensonges sur les « armes de destruction massive » en Irak.

Cet incident montre l’existence de divisions toujours plus sérieuses au sein de la classe dirigeante américaine. Il y a une prise de conscience croissante du fait que la politique étrangère de l’administration Bush a des conséquences négatives pour l’impérialisme américain. Une section de la classe dirigeante voudrait freiner cette politique – voire y mettre un terme. Tout ceci prépare une crise du régime lui-même.

Les prochaines élections seront probablement gagnées par les Démocrates. Mais que pourront-ils faire ? Ils hériteront de la guerre, du terrorisme et de la crise économique. Ils seront rapidement discrédités, ce qui préparera le terrain à une sérieuse radicalisation de la politique, aux Etats-Unis.

Instabilité régionale

La guerre en Irak a déjà eu des conséquences que la clique dirigeante de Washington n’avait pas anticipées lorsqu’elle a déclenché son aventure militaire. George W. Bush et Condoleezza Rice veulent sincèrement la paix au Moyen-Orient – une paix sous contrôle américain. Le problème, c’est que ces deux objectifs s’excluent mutuellement : il peut y avoir la paix ou la domination américaine – mais pas les deux à la fois.

La tentative de renforcer son contrôle de la région est un élément clé de la politique générale de l’impérialisme américain pour la domination mondiale. L’invasion criminelle de l’Irak était destinée – entre autres – à établir une tête de pon(d)t américaine ferme et fiable. Cet objectif n’a pas été réalisé. Au contraire : la guerre a provoqué une vague d’instabilité dans toute la région.

En liquidant l’armée irakienne – la seul force qui pouvait agir comme contre-poids à l’Iran –, Washington a modifié le rapport de force dans (la) toute la région. Cela a bénéficié à l’Iran, qui a accru son influence sur la population chiite d’Irak et à travers la région. Cela menace directement les intérêts de l’Arabie Saoudite et des Etats du Golfe, dont les monarchies réactionnaires pro-américaines sont assises sur d’énormes réserves de pétrole.

Comme un éléphant dans un magasin de porcelaine(s), l’impérialisme américain a saccagé la région, détruisant les éléments de stabilité qui existaient. Encerclé de morceaux vaisselle brisée, et craignant de casser d’autres assiettes de valeur, George Bush a organisé le sommet d’Annapolis. C’était une tentative désespérée de recoller les morceaux.

La monarchie saoudienne – l’un des principaux alliés de Washington dans la région – ne tient qu’à un fil. Elle pourrait être renversée n’importe quand. Et quel que soit le régime qui la remplacera, ce ne sera pas un ami de Washington. En conséquence, le régime saoudien a imploré les Américains de l’aider sur deux fronts : en renforçant les pressions diplomatiques, économiques et militaires sur l’Iran, et en concoctant une forme d’accord réglant la question palestinienne, de façon à alléger la pression que cette question exerce sur l’Arabie Saoudite.

Washington serait trop heureux de fournir cette aide aux Saoudiens, mais il rencontre des problèmes très sérieux. Le premier problème est Israël, qui est aujourd’hui le seul allié fiable des Américains dans toute la région. Dans la situation actuelle, les Américains ne peuvent pas trop faire pression sur Israël. Les Etats-Unis proposent, mais Israël dispose.

La Syrie et le Liban

Les Américains se croyaient malins lorsqu’ils ont organisé le renversement du régime pro-Syrien au Liban. Mais tout ce qu’ils sont parvenus à faire, c’est plonger le pays dans le chaos et la guerre – et créer les conditions d’une résurgence de la guerre civile. A présent, le Liban est paralysé par l’élection de son président. Certaines personnes, à Washington, ont réalisé (à contre-cœur) que la Syrie joue un rôle crucial. En invitant Damas à envoyer un représentant à Annapolis, ils ont peut-être reconnu ce fait.

De son côté, la Syrie a envoyé son vice-ministre des affaires étrangères : c’est moins qu’un vrai négociateur, mais plus qu’un simple pion. Cela indique peut-être que la Syrie cherche à trouver un compromis avec Washington.

Les Américains ont besoin de la Syrie pour éviter que le Liban ne sombre dans la guerre civile. Mais Bush est trop stupide pour comprendre les réalités de la diplomatie mondiale. Il n’a fait aucune concession à la Syrie pour s’assurer son soutien, et lui a tapé sur les doigts dans son discours. Ciblant la Syrie, il a évoqué la nécessité pour le Liban d’avoir des élections « libres de toute interférence et intimidation extérieures ». Au vu de l’interférence flagrante des Etats-Unis dans toute la région, c’est une blague. Mais les Syriens n’ont pas trop apprécié ce trait d’humour.

La question palestinienne

La question palestinienne est au cœur de l’instabilité du Moyen-Orient, qui, pour des raisons économiques et stratégiques, est une région clé pour la politique extérieure américaine. Depuis des décennies, la question palestinienne est comme une plaie purulente qui empoisonne les relations entre les différents Etats de la région, et qui porte en elle le risque de conflits, de terrorisme, d’instabilité et de guerres.

Après la chute de l’Union Soviétique, les impérialistes américains ont cherché (a)à étendre leur influence dans les pays arabes. Pour ce faire, ils étaient prêts à exercer des pressions sur Israël – dans certaines limites – pour qu’il fasse des concessions. Cela a mené aux pourparlers de Camp David et aux accords de Madrid et d’Oslo, qui ont dessiné un territoire palestinien tronqué. C’était une caricature pathétique, qui en aucune manière ne pouvait satisfaire les aspirations nationales des Palestiniens. Personne, d’ailleurs, n’en était satisfait.

Le résultat fut davantage de violence, de terrorisme, de chaos, de conflits – et une scission ouverte dans les rangs des Palestiniens, le Hamas prenant le contrôle de Gaza. Il y a des éléments de guerre civile. La crise à Gaza est une guerre civile enter le Hamas et l’OLP de Abbas.

Le retrait israélien de Gaza était un mouvement tactique destiné à renforcer l’étau sur la Cisjordanie. Le cynisme des impérialistes (américains et européens) est apparu clairement lorsqu’ils ont suspendu l’aide au gouvernement du Hamas – qui, quoiqu’on en pense, a été démocratiquement élu. Dès qu’a éclaté le conflit entre Mahmoud Abbas et le Hamas, les impérialistes ont restauré l’aide financière pour la Cisjordanie et leur agent Abbas. Ils cherchent à diviser les Palestiniens et à empêcher leur lutte d’aboutir.

La classe dirigeante israélienne regarde avec satisfaction les Palestiniens se battre entre eux – et, de temps à autre, envoie les tanks ou resserre l’étau économique pour rappeler qui est le patron. C’est un cauchemar pour les masses palestiniennes, qui ne voient aucune issue. La tactique du Hamas ne règle rien, et ne fait que renforcer la position des impérialistes israéliens, leur fournissant des excuses pour des nouvelles agressions et répressions.

Le slogan de la classe dirigeante israélienne est : ce qu’on a, on le garde. Les Sionistes n’ont aucune intention de faire des concessions importantes. Le Hamas se vante d’avoir chassé l’armée israélienne de Gaza. C’est une plaisanterie. Les Israéliens se sont retirés de Gaza pour faire taire les critiques internationales et donner l’impression de faire une concession importante. En réalité, ils ne sont pas intéressés par Gaza. Et dans le même temps, ils ont renforcé leur emprise sur la Cisjordanie. C’est la question décisive.

Les Israéliens ont continué de construire le mur monstrueux qui découpe la Cisjordanie. Au passage, ils emportent de larges morceaux de terre, sous des prétextes de « sécurité ». Les colons sont de plus en plus audacieux et insolents. Après les incidents de Gaza, aucun gouvernement israélien ne voudra se confronter aux colons de Cisjordanie.

Il y a ensuite (la) le problème de Jérusalem, que les Juifs et les Arabes revendiquent comme leur capitale divine. Par ailleurs, il est hors de question, pour Israël, d’accepter le retour des réfugiés palestiniens expulsés de chez eux depuis 1948, car cela déséquilibrerait complètement l’équilibre démographique de « l’Etat juif ».

Israël et les Etats-Unis ont un intérêt à parvenir à une sorte d’accord sur la question palestinienne. Dans cette mesure, ils peuvent négocier et négocier encore. Mais quel que soit l’accord trouvé, il(s) sera contraire aux intérêts des Palestiniens.

Ils ont fait du « dirigeant » palestinien Mahmoud Abbas leur laquais. Il signe tout ce qu’ils lui demandent de signer. Mais ce n’est pas si facile ! Abbas, comme tout le monde, aimerait vivre encore un certain temps, et il a également peur de perdre encore plus de soutien parmi les masses palestiniennes. Il ne peut se permettre de capituler de façon trop ouverte. Mais en fin de compte, il n’aura pas le choix.

Le sommet d’Annapolis n’a rien résolu. Après quatre mois de discussions au sujet de discussions, Condoleeza Rice n’est pas parvenue à obtenir ce dont Abbas avait besoin : une sorte d’accord sur la création d’un Etat palestinien.

Un problème insoluble

Les Etats-Unis sont supposés veiller à l’application de la « feuille de route » de 2003, suivant laquelle Israël devait geler l’établissement de nouvelles colonies en Cisjordanie – et l’Autorité Palestinienne prendre des mesures contre les militants qui attaquent Israël.

Cela signifie que les deux parties en conflit ont donné aux Etats-Unis le rôle d’arbitre. Cela a été présenté comme une victoire pour les Palestiniens, dans la mesure où jusqu’alors le rôle d’arbitre revenait de facto à Israël. Cependant, il n’en résulte pas de changements fondamentaux. Dans un match de football, l’arbitre est supposé être neutre, et de cette neutralité découle son autorité. Mais dans le conflit israélo-palestinien, l’arbitre penche clairement pour l’une des deux parties, et « l’arbitrage » ne vaut donc pas grand chose.

Le premier test est clair : que va faire Olmert de la centaine (et plus) de colonies « illégales » établies par des colons extrémistes ? La feuille de route demande qu’il en démantèle une soixantaine. Mais la dernière tentative d’en démanteler une seule a provoqué des affrontements violents entre la police et les colons qui, après avoir perdu leur lutte pour rester dans la Bande de Gaza, en 2005, se sont regroupés et se préparent à une confrontation.

Il n’est pas impossible qu’Olmert fasse pression sur les colons (ce sont de simples pions sur l’échiquier, et des pions peuvent toujours être sacrifiés pour des objectifs plus importants). Mais un démantèlement global des colonies en Cisjordanie est impensable. Les colons sont des fanatiques parfaitement capables de provoquer des troubles sérieux aussi bien en Cisjordanie qu’en Israël – et aucun gouvernement israélien ne courra (la) le risque d’une telle déstabilisation. En conséquence, la question des colonies ne sera pas réglée, et elle constituera une provocation permanente à l’égard des Palestiniens.

Les Etats-Unis ont appointé un général, James Jones, comme émissaire à la sécurité pour l’Autorité Palestinienne. Cela ne changera pas grand chose. Et il est clair qu’Israël ne lui facilitera pas la tâche. Comme l’a déclaré un officiel israélien, l’idée qu’Olmert puisse geler la construction de colonies – conformément à la « feuille de route » – est un « opportun malentendu ». Cela exprime bien la vacuité de la diplomatie américaine. De fait, toute l’affaire est précisément cela : un opportun malentendu.

L’ « arbitre » sera implacable sur un point : la répression des militants. Les grosses sommes d’argent que les Etats-Unis envoient à l’Autorité Palestinienne sont conditionnées à cela. Les Américains attendent d’Abbas qu’il écrase les militants palestiniens, de façon à préparer le terrain à un « accord » qui sera en-(deça) deçà des aspirations palestiniennes. C’est pour cette raison que Washington arme l’Autorité Palestinienne et entraîne ses forces de sécurité. Ils se préparent à une guerre civile qu’ils savent inévitable.

L’interprétation israélienne de la « feuille de route » est la suivante : aucun accord ne prendra effet tant que l’Autorité Palestinienne n’aura pas démantelé les groupes terroristes. Mais Abbas ne peut pas aller aussi loin : il craint qu’un conflit sérieux avec le Hamas ne provoque un effondrement complet de ses forces armées. C’est pourquoi Abbas insiste sur le fait qu’il lui suffit simplement de commencer à « restaurer l’ordre ».

En conséquence, les récents pourparlers n’ont rien réglé – et ne pouvaient rien régler. C’est un conflit trop profond et intense pour être réglé par des négociations. Et même si les négociations reprennent, comment pourraient-elles régler des questions aussi importantes que les frontières de l’Etat palestinien, la division de Jérusalem, le sort des 4,5 millions de réfugiés, le partage des ressources en eau, etc. ?

Olmert fera juste les concessions nécessaires pour que le « processus de paix » se poursuive, de façon à ne pas contrarier les Américains. Mais il ne fera pas de concessions trop importantes, de façon à ne pas rompre avec l’aile droite de sa coalition. Les partis de droite ont clairement fait comprendre qu’ils n’accepteront pas des concessions sur les questions fondamentales. Par exemple, ils ont fait voter au parlement un projet de loi qui entrave la possibilité de concéder une partie de Jérusalem à l’Autorité Palestinienne.

De son côté, Abbas – qui a obtenu beaucoup moins qu’espéré aux négociations d’Annapolis – court le risque d’être accusé de capitulation par ses opposants. L’Autorité Palestinienne a violemment réprimé des manifestations anti-Annapolis en Cisjordanie. C’est un avertissement. Loin de déboucher sur un accord relatif à la création d’un Etat palestinien, Annapolis débouchera sur de nouveaux bains de sang et de nouveaux affrontements entre Palestiniens.

La seule issue

Dans de nombreux pays, la classe ouvrière reprend le chemin de la lutte – après des années de découragement. On l’a vu avec les impressionnantes vagues de grève en Egypte, mais aussi au Maroc, en Jordanie, au Liban et en Israël même. Il faut mettre à l’ordre du jour la lutte pour une politique de classe, la solidarité ouvrière internationale et la lutte pour le socialisme comme seules véritables solutions aux problèmes des masses.

Il est essentiel que la jeunesse révolutionnaire de Palestine le comprenne. Si on acceptait l’idée que la société israélienne est un seul bloc réactionnaire, la cause du peuple Palestinien serait définitivement perdue. Mais ce n’est pas vrai ! En Israël, il y a des riches et des pauvres, des exploiteurs et des exploités – comme dans n’importe quel autre pays. Il faut travailler à la construction de liens entre les révolutionnaires de Palestine et les masses israéliennes – juives et arabes. C’est la seule façon de détacher les masses de la classe dirigeante sioniste.

On nous dit que c’est impossible. C’est faux ! A plus d’une reprise, par le passé, il y a eu des signes clairs que le message des territoires occupés trouvait un écho parmi les masses d’Israël. A l’époque du massacre des Palestiniens au Liban, il y avait d’énormes manifestations de protestation, en Israël. Et lors de la première Intifada, il y avait une effervescence évidente dans la société israélienne, y compris dans les forces armées.

La tactique des attentats-suicide et des attaques à la roquette contre des civils israéliens est mauvaise parce que contre-productive. A chaque civil israélien tué, l’armée israélienne tue beaucoup plus de Palestiniens. Le terrorisme individuel n’a aucun impact sur la machine militaire israélienne. Par contre, il aide considérablement la classe dirigeante et l’Etat israéliens. En poussant les masses vers l’Etat sioniste, cette tactique renforce cela même qu’elle prétend détruire.

Nous nous battons pour une révolution socialiste au Moyen-Orient, en Iran, dans le Golfe et en Afrique du Nord. Nous luttons contre l’impérialisme – l’ennemi principal de tous les peuples. Mais nous luttons aussi contre le capitalisme et la grande propriété terrienne – qui sont les principaux agents de l’impérialisme. Nous sommes opposés au fondamentalisme religieux, qui cherche à détourner les instincts anti-impérialistes des masses vers l’impasse du fanatisme religieux et de l’obscurantisme réactionnaire. Nous sommes pour le pouvoir ouvrier et le socialisme – pour un nouvel ordre social qui exprime les intérêts des masses. Nous sommes pour la création d’un Fédération Socialiste du Moyen-Orient, qui garantira aux Arabes et aux Juifs un pays dans des Républiques Socialistes Autonomes. C’est la seule voie !

Il n’y a pas de solution à la question palestinienne sur la base de manigances avec l’impérialisme. La seule solution, c’est de diviser Israël suivant une ligne de classe et, ainsi, de briser la domination du sionisme réactionnaire. Cela suppose une position de classe. Certes, dans les circonstances actuelles, une telle position n’est pas facile à défendre. Mais les événements prouveront la futilité des « vieilles méthodes » et offriront des opportunités aux marxistes. D’ici là, nous devons expliquer patiemment nos idées aux éléments les plus avancés. A l’avenir, elles rencontreront un écho massif.

La révolution iranienne

Il y a un potentiel révolutionnaire croissant en Iran. Ahmadinejad joue la carte de l’anti-américanisme pour détourner l’attention de masses. Cependant, après les révélations de la presse américaine sur l’état réel du programme nucléaire iranien, la possibilité de frappes aériennes contre l’Iran a certainement diminué – du moins pour le moment.

Cela ne convient pas du tout à Ahmadinejad. Sa base de soutien s’érode rapidement, en Iran, et son seul espoir était de pouvoir continuer à focaliser l’attention des masses sur les dangers d’une agression militaire. Il a fait une déclaration publique pour affirmer que les révélations de la presse américaine désignent Bush comme un menteur (ce qui est exact) et justifient complètement la politique de son régime (ce qui est faux).

Bien sûr, Ahmadinejad n’est pas capable de mener une lutte sérieuse contre l’impérialisme. Encore une fois, son objectif était de maintenir une tension pour détourner l’attention des masses iraniennes de leurs problèmes réels. A présent, il est peu probable que Bush puisse déclencher une offensive militaire. Ceci facilitera le développement d’un mouvement d’opposition des travailleurs et des étudiants iraniens – mouvement qui a déjà commencé et transformera toute la vie politique de la région dans la période à venir.

Les mullahs s’accrochent au pouvoir, mais leur base de soutien s’effondre. Le régime connaît un processus de lente décomposition interne. Après des décennies au pouvoir, les mullahs sont considérés – à juste titre – comme corrompus et répressifs. La jeunesse se révolte ouvertement. Malgré le puissant appareil répressif d’Etat, Ahmadinejad s’est fait huer et chahuter par les étudiants. C’est un symptôme très important. Il est classique qu’une révolution commence avec les étudiants. Ce fut le cas dans la Russie des années 1900-1903. L’agitation étudiante avait ouvert la voie à la mobilisation massive des travailleurs dans la révolution de 1905. Ce fut également le cas dans l’Espagne des années 1930-1931. En mai 1930, Trotsky écrivait :

« Etant donné que la bourgeoisie se refuse, consciemment et obstinément, à prendre sur elle le soin de résoudre les problèmes imposés par la crise que traverse son régime ; étant donné que le prolétariat n’est pas encore prêt à se charger de résoudre ces problèmes – il n’est pas étonnant que l’avant-scène soit occupée par des étudiants... L’activité révolutionnaire ou demi-révolutionnaire des étudiants montre que la société bourgeoise traverse une crise très profonde...

« Les ouvriers espagnols ont manifesté un instinct révolutionnaire très sûr en donnant leur appui aux manifestations des étudiants. Bien entendu, ils doivent agir ainsi sous leur propre drapeau et sous la direction de leur propre organisation prolétarienne. Il est du devoir du communisme espagnol d’assurer cette action, et, à cet effet, il lui est indispensable d’avoir une politique juste... » (Problèmes de la révolution espagnole)

Ces lignes s’appliquent parfaitement à l’Iran d’aujourd’hui. Malgré les forces de sécurité du régime, les étudiants protestent et manifestent. Le 4 décembre 2007, 500 étudiants et militants de gauche ont pris part à un rassemblement illégal à l’université de Téhéran. Ils ont dénoncé les arrestations récentes, le climat d’intimidation – et achevé la réunion en chantant l’Internationale. Cela montre que les traditions révolutionnaires du mouvement étudiant iranien – qui remontent à décembre 1953 – sont bel et bien vivantes. Et comme symptôme, c’est encore plus important.

Lénine expliquait qu’il y a quatre conditions pour une révolution. Premièrement, le régime doit être en crise et divisé. Le régime iranien, dans une impasse complète, est profondément divisé. Il en est arrivé au stade que Tocqueville décrivait comme le plus dangereux, pour une autocratie : lorsqu’elle commence à réformer. A ce moment, une division s’ouvre entre les conservateurs et les réformistes. Ces derniers disent : « il faut réformer ou il y aura une révolution. » Les autres disent : « Si on réforme, il y aura une révolution ». Et tous ont raison. Cela fait un moment que l’Iran a atteint ce stade.

La deuxième condition, c’est une effervescence parmi les couches intermédiaires de la société, qui vacillent entre la révolution et le statu quo. Cette fermentation s’exprime dans les universités iraniennes – mais pas seulement. Les petits commerçants (bazaris), qui par le passé soutenaient les mullahs, sont eux aussi mécontents. La base de masse de la réaction s’étiole, cependant que les réserves sociales de la révolution grandissent de jour en jour.

Le troisième – et plus important – élément de l’équation, c’est la classe ouvrière. La puissante classe ouvrière iranienne est la force décisive de la révolution. Les travailleurs iraniens commencent à bouger. Il y a eu de grandes vagues de grèves, impliquant de nombreux secteurs de la classe ouvrière : conducteurs de bus, cheminots, travailleurs des chantiers navals, travailleurs du textile, de l’industrie sucrière et de l’industrie pétrolière – entre autres. Ces grèves commencent sur des mots d’ordre économiques, mais étant donnée la nature du régime, elles prendront inévitablement un caractère toujours plus politique et révolutionnaire.

En d’autres termes, toutes les conditions décrites par Lénine sont réunies en Iran – toutes sauf la dernière : le parti et la direction révolutionnaires. Nos camarades iraniens ont fait un excellent travail. Ils n’en sont qu’au début. Mais ils peuvent grandir rapidement au fur et à mesure que la révolution se développe. L’Iran est à un stade comparable à la veille de la révolution russe de 1905. N’oublions pas que les marxistes russes étaient eux aussi extrêmement faibles, à cette époque, et qu’ils ont grandi très rapidement une fois que la classe ouvrière est entrée en action.

Notre tendance est la seule qui ait détecté le potentiel révolutionnaire en Iran. La classe ouvrière iranienne a été vaccinée contre le fondamentalisme islamique. Elle est jeune, fraîche et libre de tous les préjugés et distorsions du réformisme et du stalinisme. Elle peut très rapidement s’orienter vers les idées révolutionnaires les plus avancées. La révolution iranienne dissipera l’atmosphère irrespirable de réaction qui empoisonne toute la région. Elle secouera le joug du fondamentalisme religieux et prendra résolument la voie du socialisme et du pouvoir ouvrier.

A ce stade, la révolution iranienne est la clé, au Moyen-Orient. Elle brisera les chaînes du fondamentalisme et de la réaction. Elle donnera un espoir et de nouvelles perspectives aux travailleurs et à la jeunesse du monde arabe, qui commencent à reprendre le chemin de la lutte des classes. Elle aura des répercussions majeures en Afghanistan, au Pakistan, dans toute l’Asie Centrale – et bien au-delà.

L’Afghanistan

En Afghanistan comme en Irak, les impérialistes n’ont pas atteint leurs objectifs fondamentaux. Le chaos règne, et ses répercussions ont déstabilisé le Pakistan. La guerre se poursuit et le nombre de soldats tués continue de croître. Les Américains voulaient s’appuyer sur la force aérienne, de façon à limiter les pertes en soldats. Mais c’est un échec. Les bombardements ont tué beaucoup de civils afghans. Telle est la façon dont le Pentagone pratique l’art subtil de gagner des amis et d’influencer des gens.

Les troupes sous commandement britannique se battent au sol dans la province d’Helmand. Elles subissent de lourdes pertes dans une guerre ingagnable. Les Talibans évitent de livrer bataille « à découvert ». Ils posent de bombes le long des routes et recourent à des attentats-suicide. Cette tactique « asymétrique » (de guérilla) très efficace est appliquée à Kaboul même. Le vice-président des Etats-Unis, Dick Cheney, a échappé de peu à un attentat-suicide.

Le général britannique David Richards aurait dit à ses collègues de Londres que l’OTAN faisait « tout ce qu’elle peut », en Afghanistan, parce qu’elle manque de troupes. Cependant, il est beaucoup facile de formuler le problème que de le résoudre. Où l’OTAN pourrait-elle trouver davantage de soldats ? En fait, il y aura de nouvelles défections parmi les alliés des Américains – et ce d’autant plus que le nombre de soldats tués augmente, dans la mesure où cela affecte la politique intérieure des pays de la coalition. Cette question a déjà provoqué une crise politique en Italie. Ce ne sera pas la dernière.

Certains pays – comme la Grande Bretagne, le Danemark et la Pologne – augmentent leurs forces en Afghanistan. Les Allemands sont sur place, mais leurs troupes sont confinées dans le Nord (où il y a très peu de combats) et n’ont pas le droit de quitter les casernes la nuit ! La guerre en Afghanistan est impopulaire, en Allemagne. En Italie, elle a pratiquement renversé le gouvernement, en février 2007.

Le manque de troupes signifie que les impérialistes devront compenser par la puissance de feu. En conséquence, davantage de civils seront tués, ce qui aggravera l’hostilité de la population. A l’inverse, les Talibans ont beaucoup d’argent, d’hommes et d’armement, financés par la culture du pavot.

L’économie de l’opium et l’insurrection se renforcent mutuellement. La drogue finance les Talibans, et la guerre encourage la culture du pavot, en particulier à Helmand, qui cette année devrait cultiver davantage de pavot – et produire davantage d’opium, dont vient l’héroïne, etc. – que le tout reste de l’Afghanistan.

Le trafic de drogue est très profitable : 320 milliards par an, à l’échelle mondiale. Le commerce de l’opium représente 1/3 de l’économie afghane. Le commerce de l’opium afghan est hors contrôle. L’an passé, l’Afghanistan a produit l’équivalent de 6100 tonnes d’opium, soit 92% de la production mondiale. A l’époque des Talibans, au moins, ceux-ci exerçaient un certain contrôle. Ce n’est plus le cas. Aujourd’hui, les chefs talibans et les trafiquants de drogue ne font qu’un.

Certains des plus importants barons de la drogue sont membres des gouvernements national et provinciaux. Il y a même parmi eux des proches d’Hamid Karzai. The Economist du 28 juin 2007 rapporte : « Toute la chaîne gouvernementale – qui est supposée impulser l’ordre légal – a été corrompue, du ministre de l’intérieur jusqu’au simple policer. Les policiers mal payés reçoivent des pots-de-vin pour faciliter le trafic. Certains payent leurs supérieurs pour obtenir des postes "lucratifs" comme le contrôle des frontières. »

Pakistan – la clé

Le Pakistan est un élément clé de la politique étrangère des Etats-Unis en Asie Centrale. Or le pays est en pleine crise, frappé par un effondrement économique, par le terrorisme, par des scissions au sein de l’Etat et par le chaos politique. Il est impossible de dire précisément sur quoi cela va déboucher. Mais une chose est claire : l’instabilité continuera de croître, et avec elle la polarisation politique et sociale, qui donnera une puissante impulsion aux tendances révolutionnaires et contre-révolutionnaires.

Les événements s’accélèrent, au Pakistan. Le général Musharraf a été obligé de quitter la tête de l’armée et d’organiser des élections. Cela pose les bases d’un tournant majeur, dans le pays. Les divisions et conflits, au sommet de la société, ouvrent une brèche dans laquelle s’engouffre le mécontentement accumulé des masses.

Les contradictions intolérables de la société pakistanaise et les mobilisations de masse ont fait plier la dictature. Comme nous l’avions anticipé, le retour de Benazir Bhutto a poussé des millions de travailleurs et de paysans dans les rues. Ce ne fut pas grâce, mais malgré la politique et la conduite de Benazir, qui était une alliée de l’impérialisme américain et cherchait à trouver un compromis avec Musharraf.

La dictature de Musharraf a été minée par ses propres contradictions et son propre pourrissement interne. Cette déchéance interne s’est exprimée par la crise de l’institution judiciaire, mais aussi par la crise de la Mosquée Rouge, etc. En conséquence, les impérialistes ont décidé de lâcher Musharraf et de préparer le retour de Benazir Bhutto. Le retour de Bhutto et de Nawaz Sharif, puis le retrait formel de Musharaff à la tête des armées, ont marqué le début de la fin de la dictature. Elle s’est effondrée sous son propre poids.

Depuis son indépendance formelle, en 1947, l’histoire du Pakistan a été chaotique. La faible bourgeoisie pakistanaise s’est montrée incapable de faire avancer cet immense pays. Le Pakistan reste embourbé dans la pauvreté la plus noire et l’arriération féodale. L’économie est en lambeau et le pays n’avance pas : il recule.

La faiblesse du capitalisme pakistanais s’est manifestée par une extrême instabilité politique. De fragiles régimes « démocratiques » ont été renversés, à intervalles réguliers, par différents types de dictatures militaires. Le dernier dictateur, Zia-ul-Haq, a été assassiné (sans doute par la CIA). Musharraf, qui craint de subir le même sort, s’accroche désespérément au pouvoir. Mais le pouvoir lui glisse déjà des mains.

La proclamation de l’état d’urgence était un coup de bluff désespéré qui a plongé le pays dans le chaos politique, comme nous l’avions prévu. Cela ne faisait pas les affaires de l’impérialisme américain, pour qui le Pakistan est un pays stratégique du fait de la guerre en Afghanistan. Washington a mis la pression sur Musharraf pour qu’il s’attaque aux forces pro-talibans qui ont traversé la frontière dans le but de lutter contre la coalition, au sud de l’Afghanistan.

Les pressions de tous côtés ont miné le régime de Musharraf. Son armée a subi des pertes sévères dans les zones tribales à la frontière avec l’Afghanistan, où elle a tenté en vain de déloger les militants. Par ailleurs, une fraction puissante de l’armée – et surtout des services secrets (ISI) – soutient les Talibans, Al Qaïda, et les protègent.

Face à cela, Musharraf est impuissant. L’armée était sa seule base de soutien, mais elle s’est avérée instable. En conséquence, les stratèges de l’impérialisme américain ont tiré la conclusion que Musharaff ne leur était plus d’aucune utilité. Ils se sont alors tournés vers Benazir Bhutto.

Perspectives pour le Parti du Peuple Pakistanais (PPP)

Pour les avocats et les politiciens professionnels, la « démocratie » est un moyen d’acquérir des positions parlementaires ou ministérielles. Ils n’ont pas d’opposition de principe à l’égard de Musharraf, mais considèrent juste que l’armée se taille une trop large part du gâteau. Pour la « classe politique », toute la question se ramène à la lutte pour plonger son museau dans la mangeoire à sinécures.

Les capitalistes américains ont d’autres intérêts. Ils ont leur propre (et beaucoup plus grande) mangeoire chez eux. En dernière analyse, certes, la défense de ce qu’ils appellent les « intérêts américains » est directement liée à cette question. Mais pour protéger les « intérêts américains » – c’est-à-dire des grandes banques et multinationales américaines –, ils sont obligés de s’atteler à la politique étrangère.

La politique étrangère des Etats-Unis a deux départements : d’une part l’armée, la marine et l’aviation américaines ; d’autre part la diplomatie. La première utilise la force brute pour écraser ses ennemis. La deuxième combine la menace et la corruption pour obtenir le soutien de « gouvernements amis » – car l’amitié est aussi une marchandise qui, comme toute marchandise, peut-être achetée.

Cependant, comme toute marchandise, des amis peuvent cesser d’être utiles, et leur prix peut considérablement chuter, sur le marché. Or, cela fait un moment que la valeur marchande de l’amitié de Musharraf est très faible. En conséquence, Washington cherche de nouveaux amis à Islamabad.

Benazir Bhutto n’a pas perdu une seule occasion de se présenter comme une « modérée » pro-américaine. Mais derrière Benazir et le PPP, il y a les masses qui réclament un changement. Elles sont loyales aux aspirations socialistes originelles du PPP et demandent roti, kapra aur makan – « du pain, des vêtements, un logement » – que le capitalisme pakistanais ne peut pas fournir. L’attitude des masses est apparue clairement lors du retour de Benazir au Pakistan : au moins deux millions de personnes sont descendues dans les rues. Il s’agissait, dans leur écrasante majorité, de travailleurs, de paysans et de pauvres.

Dans un premier temps, Washington a été soulagé de l’expulsion de Nawaz Sharif en Arabie Saoudite, en septembre 2007. Mais face aux mobilisations de masse provoquées par le retour de Benazir, les Américains étaient satisfaits du retour de Nawaz Sharif. La famille royale saoudienne demandait que le chef de la Ligue Musulmane puisse rentrer au Pakistan. La monarchie saoudienne veut à tout prix éviter une victoire électorale du PPP, et souhaitait que Musharraf s’appuie sur Nawaz Sharif pour maintenir Benazir à l’écart du pouvoir. Les impérialistes, eux, voulaient maintenir un équilibre entre Sharif et Bhutto. Ils voulaient les pousser à former une coalition – comme garde-fou face aux masses.

L’assassinat de Benazir Bhutto a complètement transformé la situation. Les masses sont entrées en action. Si les élections ont lieu, elles voteront massivement pour le PPP. A court terme, le « centre » l’emportera sous la forme d’un gouvernement du PPP, possiblement en coalition avec la Ligue Musulmane. Mais cet attelage s’avèrera incapable de régler les problèmes fondamentaux de la société pakistanaise. Le « centre » apparaîtra comme un immense zéro.

Crise du régime

Les impérialistes et la classe dirigeante pakistanaise n’avaient pas peur de Benazir Bhutto, mais ils sont terrifiés par les masses qui soutiennent le PPP. Celles-ci veulent un changement fondamental dans la société. Elles ne se contenteront pas de promesses et de discours creux.

Benazir voulait former une coalition avec Sharif car elle avait besoin d’une excuse pour ne pas mettre en œuvre une politique dans l’intérêt des travailleurs et des paysans. Mais les travailleurs et paysans pauvres n’accepteront aucune excuse. Ils feront pression pour que leurs revendications les plus urgentes soient satisfaites. Cela ouvrira une situation entièrement nouvelle dans la lutte des classes au Pakistan.

Les petites intrigues et manœuvres vont bon train, au sommet de l’Etat. Les journalistes et les commentateurs sont fascinés par ce « drame politique », qui fait penser à des chamailleries de nains de cirque. Tous les arrangements et combinaisons ne sont que l’écume visible d’un océan que travaillent de puissants courants, sous la surface. Or ce qui est décisif, ce n’est pas l’écume, mais les courants.

La crise, au Pakistan, n’est pas une crise politique superficielle, mais une crise du régime lui-même. Le capitalisme pakistanais – faible, pourri, corrompu jusqu’à la moelle – a mené un vaste pays de 160 millions d’habitants dans une terrible impasse. En plus d’un demi-siècle, la bourgeoisie pakistanaise s’est montrée incapable de faire avancer le pays. Elle est à présent dans une impasse complète, qui menace de l’entraîner dans les abysses.

Seules les masses, dirigées par la classe ouvrière, peuvent sortir le pays de ce cauchemar. Les masses sont le véritable héritage du PPP : ce sont les millions de travailleurs et de paysans, de jeunes révolutionnaires et de chômeurs qui sont descendus dans les rues après l’assassinat de Benazir Bhutto. Ils ne pleuraient pas un individu mais un idéal : l’idéal d’un Pakistan juste et authentiquement démocratique, d’un Pakistan sans riches et pauvres, sans oppresseurs et opprimés – un Pakistan socialiste.

Dans la période à venir, les masses devront retourner à l’école du PPP. Elles y apprendront quelques dures leçons. Mais les masses apprennent toujours à travers leur expérience. De quelle autre manière pourraient-elles apprendre ? La période à venir sera très turbulente. Un gouvernement du PPP sera immédiatement sujet à d’énormes pressions de tous côtés : les masses demanderont des mesures dans leur intérêt – et les impérialistes, les capitalistes et les grands propriétaires terriens demanderont des mesures dans l’intérêt des riches et des puissants. Le gouvernement sera pris en étau.

Nous sommes la seule tendance à avoir anticipé ces développements. Comme toujours, les sectes gauchistes se sont révélées incapables de comprendre comment les masses pensent et se mobilisent. A l’inverse, les marxistes participent au mouvement réel et vivant des masses, se battent pour les mêmes objectifs concrets et contre le même ennemi de classe. Nous ne donnons pas des leçons aux travailleurs comme à des petits enfants. Nous expliquons patiemment, étape par étape, en aidant les travailleurs à tirer leurs propres conclusions.

Les travailleurs et les paysans apprendront à distinguer les dirigeants qui défendent les intérêts du peuple et ceux qui les trahissent. Les marxistes du PPP s’opposeront à toute tentative de former une coalition avec la Ligue Musulmane. Nous demandons la mise en œuvre du programme original du PPP, un programme socialiste reposant sur la nationalisation des propriétaires terriens et des capitalistes. Nous avancerons les revendications transitoires nécessaires pour lier chaque lutte concrète à l’objectif de la transformation socialiste de la société.

Comme en Iran, les conditions classiques d’une révolution se développent, au Pakistan. Toute révolution commence au sommet par des scissions dans le vieux régime. Cette première condition existe déjà au Pakistan. Les classes moyennes sont complètement hostiles à la clique dirigeante. Cela se reflète partiellement dans le mouvement des avocats – qui comporte cependant des éléments contradictoires. Au cours des dernières années, il y a eu une poussée de la lutte des classes au Pakistan, avec de grandes grèves comme celles des télécommunications, des aciéries et des compagnies aériennes. Ces grèves n’ont pratiquement pas été mentionnées dans la presse internationale, mais elles sont d’une grande importance symptomatique. Elles indiquent un réveil de la classe ouvrière pakistanaise.

La dernière – et plus importante – des conditions est la présence d’une organisation et d’une direction révolutionnaires. Existe-t-elle au Pakistan ? Oui, elle existe ! Les marxistes pakistanais de The Struggle ont grandi en nombre et en influence au cours des dernières années. Ils ont conquis une position après l’autre et sont parvenus à réunir autour d’eux de larges sections des militants de la jeunesse et du mouvement ouvrier. Ils sont présents et grandissent dans toutes les régions, toutes les nationalités et toutes les villes importantes.

Ils ont joué un rôle magnifique dans les luttes ouvrières. Avec le PTUDC – la Campagne pour la Défense du Syndicalisme au Pakistan, l’organisation syndicale la plus militante du pays –, ils ont remporté des victoires significatives, notamment contre la privatisation des aciéries. Au Cachemire, ils ont gagné au marxisme la majorité des militants étudiants. A Karachi et dans le Pachtounkwua (Frontière Nord-Ouest), ils ont gagné de nombreux adhérents de l’ancien Parti Communiste.

Nous étions les seuls, à gauche, à comprendre le rôle du PPP, et les seuls à prévoir la réaction des masses. Nos camarades sont intervenus dans les manifestations, distribuant des tracts et criant des slogans révolutionnaires. Ils ont été reçus avec enthousiasme par les travailleurs et les paysans, qui veulent la même chose que nous.

D’importants développements sont à l’ordre du jour, et nos camarades sont en bonne situation pour en profiter. L’alternative est parfaitement claire pour le Pakistan, l’Inde et tout le sous-continent : soit la réaction la plus noire l’emporte, soit la révolution socialiste triomphe. Le Pakistan pourrait bien avoir le privilège d’être le premier pays à rallumer la flamme du socialisme – qui embrasera aussi bien l’Asie Centrale que le sous-continent indien.

L’Amérique latine 

L’Amérique latine reste en première ligne de la révolution mondiale. C’est la réponse définitive à tous les réformistes, les lâches et les apostats qui ont accepté les arguments de la bourgeoisie, qui disait que la révolution et le socialisme n’étaient plus à l’ordre du jour. L’impérialisme américain est de plus en plus inquiet de ce qu’il se passe au sud du Rio Grande. La raison de cette inquiétude croissante est que le ferment révolutionnaire se répand d’un pays à l’autre.

Les révolutions ne respectent pas les frontières, et le ferment révolutionnaire se répand à des pays comme l’Equateur, la Bolivie, etc. C’est pour cela que les impérialistes cherchent à isoler le Venezuela. L’impérialisme américain ne peut pas tolérer la révolution vénézuélienne. Mais comme cela s’est produit à Cuba, il y a un demi-siècle, les impérialistes pourraient pousser Chavez au-delà des limites du capitalisme. Si cela se produit, les effets s’en feront sentir dans tout le continent – et au-delà.

Dans les années 80, les guerres civiles au Guatemala, au Salvador et au Nicaragua ont propulsé la région en première ligne de la guerre froide. Mais par la suite, le Moyen-Orient a rétrogradé l’Amérique latine dans les priorités de la politique étrangère de Washington. Il n’en est plus ainsi. Les inquiétudes de Washington se sont reflétées dans la tournée de George Bush en Amérique latine – une région qu’il a négligée pendant la plus grande partie de sa présidence. Bien que son itinéraire ait été choisi avec le plus grand soin et se soit limité aux pays « amis », le président des Etats-Unis a été accueilli par des manifestations de protestation.

Washington voit partout la main de Chavez et de la révolution bolivarienne. C’est typique de la mentalité policière, qui considère les révolutions (et même les grèves) comme le résultat de conspirations sournoises, et non comme des processus objectifs. Il est vrai que Chavez et la révolution vénézuélienne agissent comme un catalyseur de révolution dans tout le continent. Mais même le plus puissant des catalyseurs ne peut agir que si les conditions objectives sont réunies. Or, les conditions objectives de la révolution socialiste sont réunies dans pratiquement tous les pays d’Amérique latine.

Pour garantir la victoire en un minimum de temps et avec un minimum de sacrifices, un parti et une direction marxistes et révolutionnaires sont nécessaires. Ceci est parfaitement exact. Mais la nature ne tolère pas le vide. Les masses ne peuvent pas attendre jusqu’à ce que nous ayons construit le parti révolutionnaire ! En l’absence d’un tel parti, Chavez sert de catalyseur. Il donne une voix aux aspirations des masses, qui veulent changer la société. C’est ce qui explique l’hostilité violente qu’il rencontre de la part de l’impérialisme américain, qui est déterminé à se débarrasser de lui d’une manière ou d’une autre.

Cependant, l’influence des Etats-Unis en Amérique latine est au plus bas. Ils n’ont même pas pu obtenir de l’Organisation des Etats Américains (OEA) qu’elle intervienne contre le Venezuela. L’attitude de l’Amérique latine envers son puissant voisin du nord s’est durcie. Dans un sondage récent de la BBC, 64% des Argentins, 57% des Brésiliens, 53% des Mexicains et 51% des Chiliens disaient avoir une vision « principalement négative » de l’influence américaine.

Par le passé, les Marines auraient débarqué depuis longtemps. Aujourd’hui, c’est impossible, politiquement – mais aussi physiquement. L’armée américaine est enlisée en Irak et en Afghanistan. Il est impensable qu’elle puisse s’embarquer dans une autre aventure militaire, à ce stade. Les Etats-Unis sont donc obligés de recourir à d’autres méthodes : la diplomatie et l’intrigue. Mais même sur ce terrain, Bush est limité par une popularité en chute libre.

Dans les années 70 et 80, les Etats-Unis ont soutenu des dictatures militaires. Mais ils ont changé de tactique après s’être brûlés les doigts avec Noriega et ses semblables. Aujourd’hui, Washington préfère généralement des régimes démocratiques faibles – même si cela ne lui pas empêché d’organiser le coup d’Etat d’avril 2002, au Venezuela. L’attachement de Bush à la démocratie est très relatif, et purement dicté par des considérations tactiques. Cela ne signifie pas qu’ils n’attaqueront pas. Ils attaquent déjà. Mais ils ne peuvent pas envahir ouvertement. Ils doivent recourir à des méthodes indirectes : pressions diplomatiques, pressions économiques et intrigues politiques.

Au Nicaragua, Daniel Ortega a gagné les élections présidentielles, bien que les officiels américains aient fait ouvertement campagne pour les candidats de droite. Washington était clairement impliqué dans la fraude électorale massive, au Mexique, pour empêcher l’élection du candidat du PRD, Lopez Obrador. Il a tenté – en vain – d’empêcher l’élection de Rafaël Correa, en Equateur. Cependant, il a réussi à installer son pantin Alan Garcia au Pérou, et veut maintenant le récompenser pendant qu’il complote contre le Venezuela, la Bolivie et l’Equateur.

L’impérialisme américain essaye de former un cordon sanitaire autour du Venezuela (mais aussi de la Bolivie et de l’Equateur). C’était la signification de la tournée de Bush en Amérique latine, et de sa tentative de signer des accords commerciaux bilatéraux avec certains pays (Colombie, Brésil, Panama, Pérou). Washington est hostile aux gouvernements d’Evo Morales (Bolivie) et de Rafaël Correa (Equateur) – et exerce des pressions. Il collabore avec les oligarchies de ces pays pour en faire tomber les gouvernements.

Il fut un temps où, pour Washington, tous les socialistes étaient des « communistes ». Mais aujourd’hui, l’impérialisme américain doit s’entendre avec les « bons » socialistes comme Lula au Brésil, Bachelet au Chili et Kirchner en Argentine – dans le but d’isoler Chavez. Ils ont même essayé d’entraîner Morales dans cette voie.

The Economist du 1er mai 2007 a donné la raison de la tournée de Bush en Amérique latine : « Les Etats-Unis sont impliqués dans une bataille contre l’influence régionale de l’autocrate du Venezuela intoxiqué au pétrole, Hugo Chavez. » Le véritable objectif était d’isoler le Venezuela en utilisant des pays comme le Brésil, où Lula est considéré comme un « modéré » fiable. Il y a une double tactique : Uribe dénonce et menace Chavez, pendant que Lula le cajole et intrigue dans les coulisses pour le persuader d’abandonner l’idée du socialisme, comme il l’a fait lui-même il y a bien longtemps. The Economist poursuit :

« Lula dit pousser prudemment son homologue vénézuélien à la modération, mais il n’y a aucune preuve que cela modifie la ligne directrice de Mr. Chavez. Si ce dernier continue sur la même voie, les démocrates d’Amérique latine devront bientôt se demander s’il fait toujours partie de leur club. »

Le Colombien Álvaro Uribe est le plus solide allié des Etats-Unis dans la région. Mais même en Colombie – de loin le premier bénéficiaire de l’aide américaine, dans la région, grâce au « plan Colombie » – à peine 39% des gens sondés par LatinoBarómetro, en décembre 2006, avaient une image positive du président américain. Le gouvernement d’Álvaro Uribe est connu pour être lié aux groupes paramilitaires de droite. Le Congrès américain a même proposé de couper l’aide à la Colombie. Mais cela ne semble pas inquiéter Bush et la CIA, en dépit de tous leurs discours sur la démocratie et les droits de l’homme – au Venezuela.

L’aide militaire des Etats-Unis a transformé la Colombie en un vaste camp armé et a complètement modifié l’équilibre militaire, dans la région. La prétendue guerre contre la drogue sert de feuille de vigne pour cacher les véritables objectifs de Washington : d’une part écraser les guérilleros colombiens, d’autre part préparer l’armée colombienne à une éventuelle intervention militaire contre le Venezuela.

Chavez s’est efforcé d’atténuer la menace de la Colombie, notamment en essayant d’amorcer un rapprochement avec Uribe. Mais cette politique est désormais en ruines. Uribe, clairement poussé par Washington, a brutalement coupé les ponts avec Chavez, prétextant des prétendus contacts de Chavez avec les FARC et des officiers militaires colombiens pendant sa tentative de négocier la libération des otages. Ceci montre les limites de la diplomatie bourgeoise pour défendre la révolution vénézuélienne. Les manœuvres diplomatiques sont nécessaires, mais ne peuvent jouer qu’un rôle subalterne. En dernière analyse, les seuls vrais amis de la révolution vénézuélienne sont les ouvriers et les paysans d’Amérique latine et du monde entier.

Mexique : la révolution a commencé !

Ce qui s’est passé au Mexique confirme ce que nous avons dit et répété : il n’y a pas un seul régime stable dans toute l’Amérique latine, de Tierra del Fuego au Rio Grande. Il n’y a pas si longtemps, le Mexique semblait stable. Mais nos perspectives ont été pleinement vérifiées par les événements des deux dernières années.

Le Mexique est entré dans la voie révolutionnaire : des millions de personnes dans la rue, une insurrection à Oaxaca, des éléments de double pouvoir et même des soviets (conseils) embryonnaires. Nous l’avions prévu. A l’inverse, les sectes sont restées bouches bées. C’est ce que Trotsky appelait la supériorité de l’anticipation sur l’étonnement.

Le Mexique est un bon exemple de la façon dont les masses se mobilisent. Des millions de pauvres et de paysans sont descendus dans la rue pour protester contre la fraude électorale et pour soutenir Lopez Obrador. Nos camarades ont lutté à leurs côtés, tout en expliquant notre programme, nos idées et en essayant de pousser le mouvement en avant. C’était exactement ce qu’il fallait faire !

Comme partout ailleurs, le problème central est celui de la direction. Nous devons comprendre comment la classe ouvrière se mobilise : à travers ses grandes organisations traditionnelles, et non de petites sectes. Le mouvement magnifique et spontané des masses a provoqué une crise de la direction. Tel un apprenti sorcier, Lopez Obrador a suscité des forces qu’il ne pouvait pas contrôler – et dont il ne savait que faire. Or il est impossible de maintenir indéfiniment des millions de personnes dans un état d’effervescence sans leur montrer une issue.

Après une longue phase d’intense mobilisation, il y a clairement un élément de fatigue. Contrairement à ce que s’imaginent les sectes gauchistes, les masses ne peuvent pas passer leur vie à ériger des barricades. Si aucun changement n’est en vue, le mouvement reflue pour un temps. C’est normal. Après presque deux ans de luttes et de soulèvements, c’était inévitable. Certaines sections du mouvement prennent du recul et font le bilan de la situation. Ceci dit, des couches fraîches et traditionnellement peu combatives de la classe ouvrière peuvent toujours passer à l’action. Il peut y avoir des pauses et des reculs temporaires, mais aucune stabilité durable n’est possible.

A la surface, il semble que Calderon l’ait emporté. Mais la guerre n’est pas terminée. Comme dans un match de boxe, l’important, ce n’est pas de savoir qui remporte le premier round, mais qui aura l’endurance pour se battre jusqu’au bout. Le gouvernement Calderon est faible et divisé. C’est un gouvernement de crise. D’un côté, la classe dirigeante est trop faible pour écraser les travailleurs, à ce stade – cependant que les travailleurs ne sont pas en situation de prendre le pouvoir faute d’une direction révolutionnaire. Le résultat, c’est un équilibre instable qui peut durer plusieurs années avant le dénouement final.

La lutte des classes se poursuit. Calderon a attaqué le système de retraites et de sécurité sociale du secteur public. Cela signifie une coupe franche dans les niveaux de vie des travailleurs concernés – ce que demande la bourgeoisie mexicaine. Mais cela a provoqué des grandes mobilisations syndicales et politiques. Il y en aura d’autres.

Il est difficile de dire combien de temps l’actuel gouvernement peut tenir. Cela dépend avant tout de l’évolution des économies mondiale et américaine – le Mexique étant indissolublement lié à l’économie américaine. Un retournement de conjoncture, aux Etats-Unis, aura de profondes conséquences sur le Mexique. L’argent que des millions d’immigrés mexicains envoient des Etats-Unis joue un rôle très important : il soutient même l’économie de régions entières du Mexique.

Une récession américaine provoquerait une sévère augmentation du chômage parmi les travailleurs latino-américains – et une chute brutale du niveau des transferts d’argent vers le Mexique. La pauvreté s’aggraverait dans des régions déjà pauvres – et les tensions sociales s’exacerberaient. Mais même en l’absence d’une récession, la chute du dollar (et la chute correspondante du yuan chinois) continuera d’affecter gravement l’industrie et l’agriculture mexicaines.

Tous ces facteurs saperont les bases du gouvernement Calderon – y compris dans les classes moyennes, dont les illusions ne tarderont pas à s’évaporer. Dans ces circonstances, le PRD commencera à regagner du terrain. Il s’attirera le soutien de millions de travailleurs et de paysans – pour une raison simple : il n’y a pas d’alternative. Et à un certain stade, la bourgeoisie elle-même n’aura pas d’autre alternative que d’envoyer les masses à l’école du réformisme, où elles apprendront de dures leçons. La politique de Lopez Obrador n’implique pas de rupture avec le capitalisme. Mais le fragile capitalisme mexicain ne peut donner au peuple ce qu’il demande. Un gouvernement Obrador sera un gouvernement de crise.

Les travailleurs et les paysans feront pression sur un gouvernement du PRD pour qu’il mette en œuvre un programme conforme à leurs intérêts. D’un autre côté, l’attitude de la classe dirigeante vis-à-vis d’un gouvernement PRD se résumera par la formule : « user et discréditer ». Elle fera pression sur le PRD pour qu’il poursuive la politique de coupes et de contre-réformes dont le capitalisme mexicain a besoin – après quoi elle renversera le gouvernement et s’engagera vers un gouvernement de droite encore plus réactionnaire. Les réformistes seront pris en étau.

La prétendue « guerre contre la drogue » – qui n’est qu’un prétexte pour réprimer le mouvement révolutionnaire et la classe ouvrière – est une illustration de la faiblesse de la bourgeoisie et de l’Etat mexicains. La violence, les meurtres et autres horreurs sont devenus la norme. Dans ce pays d’à peine 100 millions d’habitants, il y a eu 1600 meurtres liés au crime organisé en 2005, puis 2200 en 2006 – et ce chiffre augmente encore. Il y a des éléments de désintégration sociale et de barbarie, qui peuvent engloutir la société si la classe ouvrière ne prend pas le pouvoir.

Tôt ou tard, il y aura une confrontation ouverte entre les classes. Calderon essaye de renforcer l’appareil d’Etat en vue des luttes à venir. Récemment, 30 000 soldats ont été déployés à travers le pays. Amnesty International a évoqué une politique systématique de « détentions arbitraires, de tortures, de procès injustes et d’impunité ». Au lieu de lutter contre cette situation, Lopez Obrador a proposé d’accroître le recours à l’armée.

Les capitalistes mexicains comprennent, de leur point de vue de classe, ce que nous comprenons du nôtre. Mais les dirigeants réformistes du PRD, eux, ne comprennent rien et ne préparent rien. La situation au Mexique est très explosive – même s’il y aura des flux et des reflux. Nous avons une organisation solide, dans le pays, et une direction qui s’est forgée dans le feu des événements. Dans la période à venir, ils peuvent arriver à des résultats semblables à ce qu’ont réalisé nos camarades pakistanais. Désormais, nous devons être encore plus attentifs à la situation au Mexique et au travail de nos camarades mexicains.

La Bolivie

Evo Morales est au pouvoir depuis deux ans. Il a été élu après que la magnifique classe ouvrière bolivienne a lutté, pendant 18 mois, pour changer la société par des moyens révolutionnaires. Les travailleurs ont organisé deux grèves générales et deux insurrections, renversant deux présidents. Que peut-on demander de plus à la classe ouvrière ?

La bourgeoisie et les impérialistes craignaient que Morales mène la Bolivie sur une voie semblable à celle ouverte par Hugo Chavez, au Venezuela. Mais sa politique de « nationalisation » partielle du pétrole et du gaz a irrité les gouvernements et les investisseurs étrangers – sans pour autant apporter de solutions aux problèmes fondamentaux de la société bolivienne. La « révolution démocratique » promise par Morales a alarmé la bourgeoisie des provinces prospères, à l’Est du pays, sans pour autant satisfaire les travailleurs et les paysans.

En conséquence, la Bolivie penche chaque jour un peu plus vers la contre-révolution. La passivité et l’indécision de Morales ont permis une contre-offensive de la réaction. Le corps judiciaire a organisé une grève de 24 heures pour protester contre la tentative du gouvernement de « balayer le système judiciaire bolivien et de mettre en place un régime totalitaire. » La Cour Suprême est un nid de réactionnaires. Or, à ce jour, aucune mesure significative n’a été prise contre elle.

La jeunesse dorée – les étudiants contre-révolutionnaires et les enfants gâtés de la bourgeoisie – joue le rôle de « troupe de choc » de la réaction. Ils organisent de violentes manifestations de rue. Ils y a eu des affrontements avec des manifestations de travailleurs et de paysans révolutionnaires – avec morts et blessés. Il y a un an, des partisans du gouvernement ont tenté d’évincer le gouverneur de Cochabamba, qui proposait un référendum sur l’autonomie de la région. Trois personnes ont trouvé la mort dans des affrontements violents. Aujourd’hui, les forces réactionnaires sont en selle à Cochabamba, ce qui était impensable il y a tout juste un an.

Ces affrontements annoncent l’imminence d’une guerre civile. Selon The Economist, « ils sont le fait d’une révolution improvisée et aux objectifs incertains ». Ce n’est pas une mauvaise description de la situation actuelle. Une révolution a besoin d’objectifs clairs et d’une détermination à atteindre ces objectifs, quels que soient les obstacles et l’opposition. C’est précisément ce qui manque, en Bolivie.

Comme nous l’avions prédit, l’appel à former une Assemblée Constituante est un moyen de détourner le mouvement révolutionnaire vers le terrain parlementaire. Suite aux manifestations qui ont eu lieu dans l’est du pays, Morales a suspendu l’adoption à la majorité simple de nouveaux articles constitutionnels. Le Mouvement Vers le Socialisme (MAS) de Morales est majoritaire à l’Assemblée, mais il ne dispose pas des deux tiers requis pour adopter une nouvelle Constitution.

Le MAS propose de redéfinir la Bolivie comme un Etat « unitaire, plurinational et communautaire », qui accorderait une place à plus d’une trentaine de « nations » indigènes. Elles auraient le contrôle de leur territoire et de ses ressources naturelles. Elles devraient être représentées, comme communautés (aux côtés de citoyens individuels), dans une Assemblée monocamérale. L’entreprise privée serait protégée à condition de « contribuer au développement économique et socio-culturel ». Enfin, un quatrième pouvoir, le « pouvoir social », serait chargé de superviser les trois pouvoirs traditionnels.

Le vice-président bolivien, Álvaro García Linera, a appelé à un « élargissement des élites » et à ce que « place soit faite aux développements capitaliste et post-capitaliste ». C’est directement tiré du livre de recettes réformistes de Heinz Dieterich. Il n’y a aucune perspective socialiste, aucune proposition d’exproprier l’oligarchie. Même dans ce domaine, les dirigeants semblent prêts aux compromis.

Le gouvernement veut trouver un compromis avec la réaction. García Linera a déclaré : « Nous ne voulons pas d’une constitution qui soit approuvée par 60 ou 70% des habitants et rejetée par le reste de la population ». Le texte final de la Constitution sera soumis à référendum, puis à l’interprétation des tribunaux – que Morales ne contrôle pas. Cela donnera aux réactionnaires la possibilité se poursuivre leur stratégie d’obstruction, de sabotage et de déstabilisation.

En dernière analyse, l’économie est le facteur décisif. Or l’économie bolivienne n’est pas en bon état, et croît moins vite que la moyenne des économies latino-américaines. Plus de la moitié de la population est pauvre. 80% des travailleurs vivent de l’économie informelle. L’émigration se poursuit. Abstraction faite des mines et du gaz, l’investissement privé représente à peine 2 à 3% du PIB – un chiffre misérable. Si Morales ne parvient pas à créer des emplois stables et à améliorer les conditions de vie des masses, toutes les manœuvres constitutionnelles au monde ne pourront pas le sauver.

Les travailleurs et les paysans vont vite se lasser d’une situation qui n’améliore pas fondamentalement leurs conditions de vie. Au final, si aucun changement décisif ne se produit, ils tomberont dans une attitude passive qui permettra à la contre-révolution bourgeoise de reconquérir toutes ses positions. Les réactionnaires reprennent confiance. Ils deviennent de plus en plus insolents et agressifs, car ils voient bien que les travailleurs perdent de plus en plus confiance dans l’avenir de la révolution.

La réaction prépare l’éviction d’Evo Morales. Elle aura peut-être recours à l’armée. Mais elle pourrait aussi utiliser les moyens « constitutionnels » – puisqu’elle contrôle une large partie de l’Etat et du pouvoir judiciaire. Tel est le résultat inévitable d’une politique réformiste et de compromis. D’un autre côté, si les réactionnaires agissent de façon précipitée, ils risquent de provoquer une explosion des masses, qui ouvrirait une nouvelle période de grande turbulence.

Le Venezuela

Contrairement aux sectes ignorantes, les impérialistes comprennent ce que nous comprenons : il y a une révolution, au Venezuela, et les masses se mobilisent pour changer la société. Cela explique les campagnes hystériques sur des sujets comme la RCTV et le référendum constitutionnel. Les impérialistes maintiennent la pression sur Chavez dans le but de bloquer la révolution. Ils s’appuient sur l’aile droite de la direction du mouvement bolivarien et sur la bureaucratie contre-révolutionnaire. Mais les travailleurs et les paysans font pression d’en bas. L’issue de cette lutte déterminera le sort de la révolution – dans un sens ou dans l’autre.

L’ascension rapide et apparemment irrésistible de Chavez ne peut s’expliquer uniquement par ses qualités personnelles. Un mécontentement fermentait déjà dans les masses, mais ne trouvait aucun véhicule à travers lequel s’exprimer. Dès qu’elles eurent trouvé un moyen d’expression, les masses se sont massivement mobilisées dans un mouvement irrésistible qui dure depuis près de 10 ans.

Il y a une relation dialectique entre Chavez et les masses. En donnant une voix aux profondes aspirations des masses, Chavez intensifie ces aspirations révolutionnaires. Les masses poussent en avant, demandent du changement. Cela réagit sur Chavez, le pousse encore plus vers la gauche. Les stratèges du Capital ont observé ce processus, et en sont arrivés à la conclusion qu’il fallait éliminer Chavez d’une façon ou d’une autre. C’est pour cela qu’ils ont mis tant d’énergie dans la campagne pour un vote « non » au référendum constitutionnel.

Ce fut la première vraie défaite de Chavez. Pour la première fois en près d’une décennie, l’opposition a remporté une victoire. Il y a eu des scènes de jubilation dans les quartiers huppés de Caracas. Cependant, la joie des réactionnaires est à la fois prématurée et exagérée. Par rapport aux présidentielles de 2006, l’opposition n’a progressé que de 200 000 voix, alors que Chavez en a perdu 2,9 millions. Les voix perdues par Chavez ne sont pas allées à l’opposition, mais à l’abstention.

Le résultat du référendum sur la réforme constitutionnelle le montre. Le « non » l’a emporté d’une très courte tête, avec 4 521 494 voix (50,65), contre 4 404 626 pour le « oui » (49,34). La question qu’il faut se poser est de savoir pourquoi un si grand nombre de chavistes ne sont pas allés voter. La grande majorité des masses soutient Chavez et la révolution, mais il y a des symptômes clairs de fatigue.

Après neuf ans de mobilisation, les masses commencent à se lasser des discours, des parades et des manifestations – ainsi que des élections et des référendums. Le plus étonnant est que le mouvement ait duré aussi longtemps avant que n’apparaissent les premiers symptômes de fatigue. Les élections de décembre 2006 ont montré qu’après neuf ans de processus révolutionnaire, 63 % de la population soutenait toujours Chavez. Cela indique un très haut niveau de conscience révolutionnaire. Cependant, personne ne doit s’imaginer que cela durera indéfiniment.

Les masses veulent moins de paroles et plus d’actes décisifs : des actes contre les propriétaires terriens et les capitalistes, des actes contre les gouverneurs et les officiels corrompus. Surtout, elles veulent des actes contre la Cinquième Colonne des « Chavistes » de droite, qui portent des T.Shirts rouges et parlent du socialisme du XXIe siècle, mais sont opposés au véritable socialisme et sabotent la révolution de l’intérieur.

Lors du référendum, tous les efforts de l’opposition ne sont parvenus qu’à mobiliser 200 000 voix de plus qu’en décembre 2006. Qui plus est, cette lutte ne peut être gagnée seulement par les seuls votes. Le bourgeois bedonnant, sa femme et ses enfants ; le petit commerçant ; l’étudiant « fils à papa » ; les fonctionnaires effrayés par la « cohue » ; les retraités nostalgiques du « bon vieux temps » de la IVe République ; les spéculateurs, les escrocs ; les vieilles dévotes des deux sexes manipulées par la hiérarchie de l’Eglise ; les petit-bourgeois fatigués de « l’anarchie » : tous ces éléments constituent une force formidable en termes électoraux, mais leur poids réel, dans la lutte des classes, est pratiquement nul.

Le rapport de force entre les classes

Le véritable rapport de force est apparu lors des manifestations qui ont clôturé la campagne référendaire. Comme en décembre 2006, l’opposition a remué ciel et terre pour mobiliser sa base de masse, et elle est effectivement parvenue à rassembler une large foule. Cependant, le lendemain, les rues du centre de Caracas étaient inondées de T.Shirts rouges. Les deux manifestations ont montré que la base active des chavistes est cinq à huit fois plus importante que celle de l’opposition.

C’est encore plus évident dans le cas de la jeunesse. Les étudiants réactionnaires sont les troupes de choc de l’opposition. Ils ont organisé de violentes provocations contre les chavistes. Leur plus grande manifestation a réuni 50 000 personnes. Cependant, les étudiants chavistes ont organisé une manifestation de 200 à 300 000 personnes. Dans ce domaine crucial de la lutte qu’est la jeunesse, les forces de la révolution dominent très largement celles de la contre-révolution.

La révolution a l’appui de la grande majorité des travailleurs et des paysans. C’est la question décisive ! Pas une ampoule ne brille, pas une roue ne tourne, pas un téléphone ne sonne sans la permission de la classe ouvrière. C’est une force colossale, dès lors qu’elle est organisée et mobilisée pour transformer la société.

L’opposition a décidé d’adopter un ton prudent et conciliant parce que la situation n’est pas mure pour une opération du type d’avril 2002. Toute tentative de lancer un coup d’Etat, à ce stade, provoquerait une puissante mobilisation des masses, qui seraient prêtes à se battre et mourir pour défendre la révolution.

Dans ces circonstances, l’armée vénézuélienne ne serait pas un instrument fiable pour tenter un coup d’Etat. Cela mènerait à une guerre civile que la contre-révolution ne serait pas sûre de gagner. Et on ne peut douter qu’une nouvelle défaite de l’opposition, dans une lutte ouverte, signifierait la liquidation immédiate du capitalisme au Venezuela.

L’armée vénézuélienne et l’Etat

L’armée reflète toujours les tendances existant à l’intérieur de la société. L’armée vénézuélienne est passée par près d’une décennie de tempête révolutionnaire. Cela y a forcément laissé des marques. Il est clair que la grande majorité des soldats de rang – des fils de travailleurs et de paysans – sont loyaux à Chavez et à la révolution. Cela vaut également pour nombre de sergents et d’officiers juniors. Mais plus on monte dans la hiérarchie militaire, moins la situation est claire. Dans les semaines précédant le référendum, il y a eu des rumeurs de conspiration, et des officiers ont été arrêtés. C’est un avertissement sérieux !

La seule façon de s’assurer que tous les officiers réactionnaires du genre de Manuel Baduel soient écartés de l’armée, c’est d’introduire la démocratie dans l’armée, et de donner aux soldats – comme d’ailleurs à tous les officiels publics – la liberté totale de rejoindre des partis politiques et des syndicats. Ceux qui sont loyaux à la révolution n’auraient rien à craindre.

Parmi les officiers, bon nombre sont certainement loyaux à Chavez ; d’autres sympathisent avec l’opposition ou sont des contre-révolutionnaires cachés. La plupart sont probablement plus ou moins apolitiques : ils peuvent pencher dans un sens ou dans l’autre suivant le climat général dans la société.

La question de l’Etat et des forces armées occupent désormais une position clé dans l’équation révolutionnaire. Cela fait un moment que l’Etat capitaliste subit une désintégration. Mais aucun nouveau pouvoir d’Etat n’a été créé pour le remplacer. C’est une situation dangereuse. La formation d’un nouvel appareil d’Etat implique nécessairement un nouveau type d’armée : une armée du peuple, une milice ouvrière et paysanne.

La nouvelle version de la Constitution prévoyait la mise en place d’une Milice Populaire Bolivarienne « comme partie intégrante des Forces Armées Bolivariennes », et composée « d’unités de la réserve militaire » (Art. 329). Cela représente plus d’un million et demi de Vénézuéliens. Une telle force serait un puissant instrument révolutionnaire pour lutter contre les ennemis intérieurs et extérieurs de la révolution.

Si les syndicats avaient des dirigeants à la hauteur de la situation, ils s’appuieraient sur cette proposition pour prendre immédiatement l’initiative de constituer des milices ouvrières dans chaque usine et chaque entreprise du pays. Les travailleurs doivent apprendre à se servir des armes pour défendre leurs conquêtes, défendre la révolution contre ses ennemis et la faire avancer. Mais l’Union Nationale des Travailleurs (UNT) a été divisée et sévèrement affaiblie par des luttes fractionnelles au sein de la direction, dont les membres sont plus intéressés par la lutte pour des postes que par la défense des intérêts de la classe ouvrière. C’est le problème principal !

La faillite des sectes gauchistes

Heureusement que les sectes gauchistes (qui tombent souvent dans l’opportunisme le plus complet) sont faibles, au Venezuela. Leur impatience habituelle, leur formalisme organique et leur façon abstraite de raisonner les rend incapables de comprendre la psychologie des masses. Malheureusement, par un accident de l’histoire, certains de ces gauchistes ont hérité de positions dirigeantes dans certains syndicats, qu’ils ont utilisées pour désorienter des militants ouvriers.

Après avoir empêché l’UNT de devenir une force révolutionnaire, ils l’ont divisée sur la question du Parti Socialiste Unifié du Venezuela (PSUV). L’aile de l’UNT dirigée par Orlando Chirino a non seulement refusé de rejoindre ce parti de masse de la classe ouvrière, mais elle a rallié les contre-révolutionnaires dans leur campagne contre la réforme constitutionnelle. C’était une politique criminelle. Ces pseudo-marxistes sont tellement aveuglés par leur haine de Chavez qu’ils sont incapables de distinguer la révolution de la contre-révolution. Ils se sont coupés du mouvement vivant des masses et se sont condamnés à l’impuissance.

Les soit-disant trotskistes qui ont appelé à voter « non » ou à s’abstenir, lors du référendum, ont joué un rôle absolument pernicieux. Ils ne peuvent même plus être considérés comme une force progressiste – sans parler d’être une force révolutionnaire.

Les contre-révolutionnaires et les impérialistes comprennent la situation bien mieux que les sectes gauchistes. Les masses ont été éveillées à la vie politique par Chavez et lui sont profondément loyales. La bourgeoisie a tout tenté pour écarter Chavez – en vain. Chaque tentative contre-révolutionnaire s’est brisée sur le rocher du mouvement des masses.

En conséquence, la réaction a décidé de s’armer de patience et de « jouer la montre ». Chavez a été élu pour six ans, et dispose donc de près de cinq années supplémentaires avant le terme de son mandat. La bourgeoisie s’est d’abord assurée qu’il ne pourrait pas se représenter. Tel était l’enjeu de la réforme constitutionnelle, de son point de vue. Elle prévoit que si elle parvient à se débarrasser de Chavez, d’une façon ou d’une autre, le mouvement scissionnerait et se désintègrerait, ouvrant la voie à une reprise en main du pouvoir par la réaction.

L’opposition est prudente car elle connaît sa faiblesse. Elle sait qu’elle n’est pas assez forte pour lancer une offensive. Mais sur la base d’un « accord national », elle cherche à pousser Chavez à limiter son programme. Si elle y parvient, cela démoralisera la base chaviste, et renforcera les réformistes et les bureaucrates.

Sabotage économique

Comment se fait-il que l’opposition se soit relevée de si cuisantes défaites ? Parce que la révolution n’a pas été menée à son terme, parce que d’importants leviers de l’économie sont toujours entre les mains des ennemis acharnés de la révolution, et aussi parce qu’il y a une limite à ce que les masses peuvent tolérer sans tomber dans l’apathie et le désespoir.

Comme nous l’écrivions dans Thèses sur la révolution et la contre-révolution au Venezuela :

« C’est une erreur de s’appuyer exclusivement sur la détermination des masses à faire des sacrifices. Les masses peuvent sacrifier aujourd’hui pour demain jusqu’à un certain point. Il faut garder cela à l’esprit. En dernière analyse, la question économique est décisive. »

Cette remarque est désormais d’une actualité brûlante. La pénurie de produits de base – tels que le lait, le bœuf et le sucre – est devenue intolérable, ces derniers mois. Cela rappelle la situation au Chili, dans les années 70, lorsqu’un sabotage économique généralisé était organisé contre le gouvernement de Salvador Allende.

La bourgeoisie vénézuélienne a lancé une campagne de sabotage systématique de l’économie. Ils y a de sérieuses pénuries et une inflation de 19%. Les masses sont loyales à la révolution, mais elles n’accepteront pas cette situation indéfiniment. Elle doit être tranchée tôt ou tard. Chavez a pris des mesures importantes, mais il hésite toujours sur des questions fondamentales telles que l’armée. L’issue n’est toujours pas claire.

Pour les masses, la question du socialisme et de la révolution n’est pas abstraite. Elle est au contraire très concrète. Les travailleurs et les paysans du Venezuela ont été extraordinairement fidèles à la révolution. Ils ont fait preuve d’un haut degré de maturité révolutionnaire et d’une grande détermination à se battre et faire des sacrifices. Mais si la situation traîne trop longtemps sans une rupture décisive, les masses vont commencer à se fatiguer. L’apathie et le scepticisme vont s’installer – en commençant par les couches les plus inertes et les moins conscientes du mouvement.

S’il n’y a aucune conclusion décisive en vue, les gens vont commencer à se dire : « On a déjà entendu tous ces discours, mais rien de fondamental n’a changé. Dès lors, à quoi bon manifester ? A quoi bon voter, si c’est pour vivre à peu près comme avant ? » C’est là le principal danger, pour la révolution. Lorsque les forces contre-révolutionnaires constateront un reflux, elles passeront à l’offensive. Les éléments les plus conscients de la classe ouvrière se trouveront isolés. Les masses ne répondront plus à leurs appels. Alors, la contre-révolution frappera.

Ceux qui prétendent que la révolution est allée trop loin, trop vite, qu’il est nécessaire de marquer une pause, qu’il faut trouver un compromis avec Baduel pour sauver la révolution – ceux-là se trompent complètement. Si une section des masses commence à se fatiguer, ce n’est pas parce que la révolution est allée trop vite, mais au contraire parce qu’elle est trop lente et n’est pas allée assez loin.

Les élections et la lutte des classes

Les marxistes – à la différence des anarchistes – ne refusent pas de participer aux élections. De façon générale, la classe ouvrière doit utiliser toutes les possibilités démocratiques qui existent pour rassembler ses forces, arracher des positions à l’ennemi de classe et se préparer à la conquête du pouvoir.

La lutte électorale a joué un rôle important au Venezuela en unissant, en organisant et en mobilisant les masses. Mais elle a ses limites. La lutte des classes ne peut se réduire à des statistiques abstraites ou à une arithmétique électorale. Le sort de la révolution n’est pas, non plus, déterminé par des lois ou des constitutions. Les révolutions ne se gagnent pas dans des chambres d’avocats ou dans des débats parlementaires – mais dans les rues, les usines, les villages, les quartiers, les écoles et les casernes.

Même après la défaite du référendum, Chavez a toujours assez de pouvoir pour exproprier les banquiers, les propriétaires terriens et les capitalistes. Il a le contrôle de l’Assemblée Nationale et le soutien des sections décisives de la société vénézuélienne. Une loi d’habilitation décrétant l’expropriation des terres, des banques et de la grande propriété privée recevrait le soutien enthousiaste des masses.

Le haut niveau de l’abstention est un avertissement. Les masses demandent des actes – pas des discours ! Par conséquent, cette défaite aura un effet bénéfique : celui d’élever les masses à des niveaux supérieurs de lutte révolutionnaire. Marx expliquait que la révolution, pour avancer, a besoin du fouet de la contre-révolution. Depuis neuf ans, on l’a constaté plus d’une fois, au Venezuela.

La victoire du « non » agira comme un choc salutaire. La base chaviste est furieuse et accuse – à juste titre – la bureaucratie bolivarienne. Elle demande une purge des éléments droitiers du mouvement.

Nous devons suivre concrètement la révolution dans chacune de ses étapes, nous devons étudier tous les faits et chiffres, nous devons participer activement à tous les débats, et jouer un rôle dirigeant dans la construction du PSUV. Mais nous devons faire tout cela comme tendance marxiste clairement délimitée.

Nous avons un peu de temps – mais pas tout le temps. Nous devons construire nos propres forces. Nous avons déjà beaucoup accompli, mais ce n’est que le début. Il reste encore beaucoup à faire. La clé de la révolution vénézuélienne, c’est de parvenir à construire le plus rapidement possible une puissante organisation de cadres révolutionnaires.

Le facteur subjectif

Le problème principal, c’est la faiblesse du facteur subjectif. Les deux ou trois dernières décennies ont parachevé la dégénérescence réformiste des directions de la classe ouvrière – aussi bien de partis politiques que des syndicats. En Grande-Bretagne, le Blairisme illustre bien les conséquences de l’horrible dégénérescence des sociaux-démocrates. En Italie, les dirigeants staliniens ont faire pire encore : ils sont parvenus à transformer ce qui restait du vieux Parti Communiste Italien en un parti bourgeois, le Parti Démocrate.

L’ironie de l’histoire, c’est que les staliniens italiens soient parvenus à faire ce que Tony Blair a tenté en vain. Mais comme le disait Lénine, l’histoire connaît toutes sortes de développements singuliers ! Lénine disait cela à l’époque où une fraction de la bourgeoisie russe, dirigée par Ustryalov, prédisait que le Parti Bolchevik lui-même pourrait se transformer en un instrument de la contre-révolution capitaliste en Russie. Lénine expliquait alors que cette prédiction d’Ustryalov était possible – c’est-à-dire que même le Parti Bolchevik pourrait se transformer en un parti bourgeois et réaliser la restauration du capitalisme en Russie. En fait, si la fraction de Boukharine l’avait emporté, cela serait arrivé dès 1928-29.

Ceci dit, l’ex-Parti Communiste Italien (DS) n’était pas le Parti Bolchevik de Lénine ! Ce n’était même pas un parti communiste tout court, même pas sous la forme caricaturale du vieux PCI stalinien des années 40. C’était une caricature de parti social-démocrate conduisant une politique de collaboration de classe. Le fait qu’il se soit appelé « Parti Communiste » n’avait rien à voir avec son contenu. Le processus actuel ne devrait étonner personne. Il n’est pas tombé du ciel. C’est la conclusion logique de décennies de dégénérescence réformiste, qui a commencé avec Togliatti, s’est poursuivie avec Berlinguer (le « compromis historique ») et a été parachevée par Veltroni. Ainsi, l’histoire prend sa revanche sur les staliniens italiens.

Malgré l’effroyable dégénérescence des organisations de masse de la classe ouvrière, elles continuent d’avoir une emprise irrésistible sur les travailleurs. Tous les efforts des sectes gauchistes pour créer de nouveaux « partis de masse » – en opposition aux partis traditionnels – ont misérablement échoué. En Grande Bretagne, malgré les crimes de Blair et du « New Labour », les sectes n’ont pas avancé d’un centimètre – et sont désormais en crise, toutes occupées à scissionner. En Belgique, la tentative des sectes de créer un « nouveau parti ouvrier » a fait un flop. En Australie, les sectes sont restées bouches bées face à la victoire écrasante du Parti Travailliste.

C’est encore plus clair dans le cas du Venezuela. Avec plus de cinq millions d’adhérents, la formation du PSUV montre quelle est l’attitude des masses à l’égard de la révolution et de Chavez. Nous sommes les seuls à avoir compris le mouvement réel des masses au Venezuela, et à y être intervenu correctement. La révolution n’est pas terminée : elle est entrée dans une phase critique. Mais les masses ont montré qu’elles voulaient ce que nous voulons. Elles tirent des conclusions correctes de leur expérience. Ainsi, après la défaite du référendum constitutionnel, elles ont demandé une purge immédiate de bureaucrates. Cela montre que les marxistes vénézuéliens du CMR ont correctement anticipé la psychologie des masses. Ils ont avancé des mots d’ordre justes au bon moment.

Construire la tendance révolutionnaire ! Construire l’Internationale Marxiste !

« […] une tendance qui grandit en même temps que la révolution, qui est capable de prévoir son propre lendemain et son surlendemain, qui se fixe des objectifs clairs et sait comment les réaliser ». (Trotsky, Les cinq premières années de l’Internationale Communiste)

Ted Grant expliquait toujours que les marxistes devaient se baser sur le fondamental – et non sur telle ou telle caractéristique accidentelle. Il n’existe pas de schéma qui puisse tout expliquer. Nous devons partir du monde tel qu’il est – et du mouvement ouvrier tel qu’il est. Partout, le processus a un caractère prolongé. Ce fait peut désorienter des camarades qui n’ont pas suffisamment assimilé la théorie et la méthode du marxisme.

Par le passé, des situations pré-révolutionnaires débouchaient très rapidement sur la révolution ou la contre-révolution. Aujourd’hui, au Venezuela, nous avons une sorte de révolution « au ralenti ». Elle dure depuis près de 10 ans. Pourquoi ? Le rapport de force est très favorable. Les travailleurs pourraient assez facilement prendre le pouvoir, mais il leur manque une direction. Chavez est honnête et courageux, mais il n’est pas un marxiste – et, par conséquent, il n’a pas fait ce qu’il fallait faire. C’est un problème de direction.

S’il avait existé une puissante tendance marxiste, au Venezuela, avant que la révolution ne commence, elle aurait pu jouer un rôle important en expliquant patiemment ce qui est nécessaire. Cela aurait aidé l’avant-garde (et Chavez lui-même) à tirer les bonnes conclusions à chaque étape du mouvement. Faute d’une direction marxiste éprouvée, l’avant-garde révolutionnaire doit apprendre péniblement, lentement, à travers un processus d’approximations successives. Le problème, c’est qu’une révolution ne laisse pas tout le temps d’apprendre par erreurs et tentatives – et les erreurs se payent très cher.

Au Mexique, comme au Venezuela, la bourgeoisie n’est pas assez forte pour écraser le mouvement révolutionnaire – mais les travailleurs ne peuvent pas prendre le pouvoir faute d’une direction adéquate. C’est cela qui explique le caractère prolongé du processus. Mais tôt ou tard, les choses devront être tranchées dans un sens ou dans l’autre. Les impérialistes comprennent ce que nous comprenons. Ils savent que l’actuel rapport de force ne peut être maintenu indéfiniment. Et ils se préparent.

Nous avons souligné, plus haut, qu’on ne devait pas fonder nos perspectives pour l’économie mondiale sur ce que fut l’évolution de l’économie ces vingt dernières années. De la même manière, on ne doit pas s’imaginer que la démocratie bourgeoise est éternelle en Europe, aux Etats-Unis, au Japon et dans les autres pays capitalistes avancés.

Les masses n’apprennent que par l’expérience. Les travailleurs des puissances européennes, du Japon et des Etats-Unis se sont habitués à un niveau de vie raisonnable, aux réformes et à la démocratie. Leur psychologie est façonnée par le passé plus que par le présent et l’avenir. De puissantes illusions se sont forgées pendant des décennies. Elles devront être brûlées de la conscience des masses au fer rouge.

Dans la période turbulente qui s’est ouverte, nous verrons des chocs et des crises dans un pays après l’autre. La conscience de classe ne se mesure pas seulement aux grèves. Nous devons suivre attentivement le mouvement ouvrier à travers toutes ses étapes. Si les travailleurs sont bloqués sur le front syndical, ils chercheront une issue sur le front politique, et vice-versa, etc. Mais ils le feront toujours à travers leurs organisations traditionnelles de masse, parce que les masses ne comprennent pas l’utilité de petits groupes, même lorsqu’ils ont des idées correctes.

A un certain stade, ce processus doit trouver une expression dans les organisations traditionnelles de masse de la classe ouvrière. Il est difficile d’imaginer une direction plus pourrie que celle du Parti Travailliste. Ces dix dernières années, toutes les sectes gauchistes ont passé leur temps à constituer toutes sortes de blocs électoraux contre le Parti Travailliste. Elles se préparaient à remplacer le Parti Travailliste « bourgeois ». Mais cela n’a abouti à rien. Lorsque les travailleurs se mobilisent, ils le font à travers leurs organisations de masse traditionnelles.

Ce fut de nouveau confirmé par le résultat des élections en Australie – et de façon encore plus flagrante en Belgique, où le marxiste Erik de Bruyn a remporté un tiers des voix lors de l’élection à la direction du Parti Socialiste. Ce résultat a choqué l’aile droite et fut largement commenté dans les médias. Or, le Parti Socialiste belge semblait mort. Il n’y avait plus de vie interne. La section d’Antwerp ne se réunissait qu’une fois par an. Et pourtant, dès que les travailleurs ont vu qu’il y avait une lutte contre l’aile droite, ils sont allés voter. A l’avenir, on verra le même processus dans un pays après l’autre.

Contrairement aux sectes et leurs méthodes schématiques, nous devons toujours approcher le mouvement ouvrier de façon dialectique. Nous étudions les choses telles qu’elles sont, telles qu’elles étaient, et nous nous efforçons de comprendre comment elles vont nécessairement se développer. Lorsque les masses tombent dans l’inactivité, la pression de la bourgeoisie sur les organisations de masse redouble d’intensité. Cependant, lorsque les travailleurs passent à l’action, ils se tournent toujours vers leurs organisations de masse – pour la simple raison qu’il n’y a pas d’alternative.

Il y a de nombreuses analogies entre la lutte des classes et la guerre. La guerre ne consiste pas en de continuelles batailles. Tous les soldats qui ont connu le feu vous diront que les batailles sont l’exception, entre lesquelles il y a de longues phases d’inactivité. Ces pauses sont utilisées pour nettoyer les armes, creuser des tranchées, s’entraîner, recruter : en un mot, préparer la prochaine bataille, qui peut venir plus vite qu’on ne l’imagine. Nous devons penser comme de bons soldats. Nous devons utiliser les pauses, dans la lutte des classes, pour construire nos forces et renforcer notre organisation.

Il est vrai que les travailleurs ne sont pas toujours disposés à se battre. La lutte des classes a un certain rythme. Nous ne devons pas être empiristes. Qui plus est, une activité constante des masses n’est pas forcément à notre avantage. Prenons l’exemple de la Bolivie, où en l’espace de 18 mois la classe ouvrière a organisé deux grèves générales, deux insurrections – et renversé deux gouvernements. Qu’est-ce qu’ont peut demander de plus à la classe ouvrière ? Si les travailleurs boliviens ne sont pas parvenus à prendre le pouvoir, ce n’est pas à cause d’un faible niveau de conscience, comme le prétendent les réformistes du genre de Heinz Dietrich, mais faute d’une direction.

Pour des raisons historiques, la tendance marxiste authentique a été refoulée, à l’échelle mondiale. Dans une large mesure, c’était la conséquence des conditions objectives. Pendant toute une période (1945-74), tout au moins dans les pays industrialisés, le capitalisme a connu une phase de grosse croissance économique, de plein emploi, d’augmentation des niveaux de vie – et d’atténuation de la lutte des classes. Même avec une direction correcte, les forces de la IVe Internationale auraient connu des difficultés. Mais sous la direction des épigones de Trotsky, le mouvement a été complètement détruit.

Dans une guerre, il est parfois nécessaire de se replier. Alors, de bons généraux sont encore plus importants que lors d’une avancée. Avec de bons généraux, il est possible de se replier en bon ordre, en conservant les forces unies et en minimisant les pertes. A l’inverse, de mauvais généraux transforment un repli en déroute. C’est ce qui s’est passé avec la IVe Internationale après la mort de Trotsky. Pablo, Mandel, Healy, Lambert, Cannon et Hanson ont tous contribué à cette débâcle. Les sectes ont subi scission sur scission et sont maintenant dans un état de décomposition irréversible.

Grâce au travail théorique infatigable du camarade Ted Grant, notre tendance a été capable de s’orienter dans de nouvelles conditions et de préserver les cadres, le programme, la politique et les traditions du marxisme. Aujourd’hui, la Tendance Marxiste Internationale est la seule héritière de ces traditions. Sur ces bases, malgré toutes les difficultés, nous avons réussi à reconstruire les forces de l’authentique marxisme-léninisme (trotskysme), et à attirer dans nos rangs les meilleurs éléments des autres tendances. Le cas du Brésil n’est que le dernier et le plus frappant exemple de cela.

Nous avons engagé un dialogue fructueux avec les Bolivariens vénézuéliens, les révolutionnaires cubains, les Républicains socialistes d’Irlande et les communistes de nombreux autres pays. Au Pakistan, en Espagne, en Italie et au Mexique, nous avons déjà posé les bases de la construction de tendances de masse. Au Venezuela, nous intervenons activement dans la révolution. Nous avons attiré les meilleurs militants grâce à notre travail dans les usines occupées, le PSUV et la jeunesse. Au Brésil, il y a un énorme potentiel pour la tendance marxiste du PT.

Il est vrai que nous sommes toujours une minorité de la gauche. Mais le vieil Engels disait : « Toute notre vie, Marx et moi avons été minoritaires – et nous étions fiers d’être minoritaires. » Mais nous vivons une période de l’histoire où de grandes transformations sont à l’ordre du jour, et où des minorités peuvent très rapidement devenir des majorités. Nous ne sommes pas dans une phase de croissance économique organique, mais au contraire dans une période de convulsions et de turbulence à l’échelle mondiale. Même Alan Greespan le reconnaît ! Or, même pendant la dernière phase de croissance, les conditions des masses se sont partout détériorées. Qu’en sera-t-il lors d’une récession ?

Dans tous les pays, la situation peut évoluer très rapidement. Nous devons nous tenir prêts, de façon à ne pas être pris par surprise. Un incident apparemment banal peut provoquer un mouvement qui prend tout le monde par surprise. Dans certaines conditions, des sections de la classe ouvrière traditionnellement passives peuvent devenir très militantes – comme la dialectique et l’histoire nous l’ont appris. En 1905, en Russie, les travailleurs ont participé à une marche pacifique pour demander des réformes au tsar, par pétition. Un prêtre dirigeait cette manifestation pacifique : le Père Gapon. Les marxistes n’étaient qu’une petite minorité complètement isolée de la classe ouvrière. Puis il y eut le massacre du 9 janvier – et la conscience des masses se transforma complètement en l’espace de 24 heures.

Nous voyons dès à présent des changements significatifs dans la psychologie des masses. Lorsque Bush a été élu pour la deuxième fois, de nombreux militants en ont tiré des conclusions pessimistes. Nous, nous prédisions que Bush deviendrait le président le plus impopulaire de l’histoire des Etats-Unis. Sa popularité s’est effectivement effondrée. Il a perdu beaucoup de terrain parmi les 42 millions de Latino-américains qui vivent aux Etats-Unis. Les Latinos des Etats-Unis constituent désormais la deuxième plus grande communauté ethnique du pays – et la quatrième plus grande « nation » d’Amérique latine. Un sondage de janvier 2007 montre que 66% des Latinos vivant aux Etats-Unis souhaitent le retour des soldats américains « le plus vite possible » – contre 51% il y a deux ans.

Les développements révolutionnaires en Amérique latine vont rapidement se répandre aux Etats-Unis par le biais des immigrés – et en particulier la jeunesse Latino. Les manifestations massives des immigrés latinos, aux Etats-Unis, montrent qu’il y a un début de fermentation dans cette couche très importante de la société américaine. Pauvreté, bas salaires, discrimination raciale, violences policières, lois injustes, guerre en Irak (où les soldats noirs et latinos constituent une part disproportionnée des victimes) : tous ces facteurs se combinent et produisent un terrain très fertile pour les idées révolutionnaires.

Par le passé, notre tendance en Grande-Bretagne (The Militant) avait accompli de grandes choses grâce à un travail patient dans les syndicats et le Parti Travailliste. C’était un vrai modèle de travail révolutionnaire. Sous la direction de Ted Grant, nous combinions une attitude scrupuleuse à l’égard de la théorie marxiste avec un travail systématique dans les organisations de masse de la classe ouvrière. Cela nous avait permis de construire la plus grande organisation trotskyste depuis l’Opposition de Gauche russe. Malheureusement, ce grand succès a été dilapidé dans une aventure criminelle. Mais ce que nous avons réalisé par le (passe)passé, nous pouvons le réaliser à l’avenir en Grande-Bretagne et à l’échelle internationale.

Nous construisons sur des fondations solides, sur des idées et des méthodes qui n’ont cessé de montrer leur supériorité. Mais des idées correctes ne suffisent pas pour construire une tendance de masse enracinée dans la classe ouvrière. Des événements sont nécessaires. Des événements, des événements et des événements ébranleront profondément la société et les organisations de masse. La vieille psychologie conservatrice sera balayée et la classe ouvrière recommencera à tirer des conclusions révolutionnaires.

Partout, le « processus moléculaire de la révolution socialiste » – selon la formule de Trotsky – est à l’œuvre. Il y a, dans les masses, un ferment de mécontentement sous-terrain. Tôt ou tard, il fera irruption à la surface. Nous devons nous y préparer et ne pas nous laisser distraire par d’inévitables « pauses » et développements épisodiques.

La conclusion de tout cela est claire : nous ne changeons pas de cap. Nous devons maintenir nos principes, notre programme, nos méthodes et nos perspectives – tout en adoptant la flexibilité tactique nécessaire pour atteindre les masses. Si on tient fermement le cap et ne faisons pas trop d’erreurs, le succès de notre tendance est garanti – d’une tendance qui grandit en même temps que la révolution, qui est capable de prévoir son propre lendemain et son surlendemain, qui se fixe des objectifs clairs et sait comment les réaliser.

Janvier 2008

Source: La Riposte