Coup d’État au Gabon : la pression continue de monter sur le continent africain

Mercredi matin, à l’aube, 12 officiers militaires sont apparus à la télévision nationale du Gabon pour annoncer qu’ils avaient annulé les résultats des dernières élections, dissous toutes les institutions de l’État et fermé les frontières du pays. Ce nouveau coup d’État militaire contre une marionnette de l’impérialisme français s’inscrit dans un processus qui a déjà vu des changements de gouvernement dans un certain nombre de pays africains, dont le Niger, le Mali et le Burkina Faso.

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Le principal port du pays, Libreville, a été fermé, les autorités refusant d’autoriser les navires à sortir. Il n’était pas clair dans l’immédiat si les compagnies aériennes opéraient dans le pays. Les officiers se sont présentés comme membres du « Comité pour la transition et la restauration des institutions » et ont déclaré représenter l’ensemble des forces de sécurité et de défense gabonaises.

Les officiers ont déclaré qu’ils annulaient les résultats des élections de samedi (quelques instants après leur annonce), au cours desquelles le président sortant Ali Bongo Ondimba a été déclaré vainqueur avec un peu moins de deux tiers des voix (selon la commission électorale), lors d’une élection que l’opposition a qualifiée de frauduleuse. Selon les résultats publiés avant le coup d’État, le principal rival de M. Bongo, Albert Ondo Ossa, n’a obtenu que 30,77% des voix.

Les soldats mutins sont issus de la gendarmerie, de la garde républicaine et d’autres éléments des forces de sécurité. Les putschistes affirment que le fils et proche conseiller du président Bongo, Noureddin Bongo Valentin, est assigné à résidence pour « trahison ». Son chef de cabinet, Ian Ghislain Ngoulou, ainsi que son adjoint, deux autres conseillers présidentiels et les deux principaux responsables du Parti démocratique gabonais (PDG) au pouvoir ont également été arrêtés, a déclaré un responsable militaire. Ils sont accusés de trahison, de détournement de fonds, de corruption et de falsification de la signature du président, entre autres.

Farce électorale et démocratique

Bien que le Gabon organise des élections multipartites, Ali Bongo a maintenu sa domination politique par une combinaison de favoritisme et de répression, ayant succédé à son père à sa mort en 2009 après 42 ans au pouvoir. En janvier 2018, le gouvernement a promulgué une série d’amendements constitutionnels qui ont renforcé le pouvoir exécutif et exclu les propositions de l’opposition. En avril 2023, le parlement a voté une nouvelle révision de la constitution, réduisant le mandat présidentiel de sept à cinq ans et revenant à un scrutin unique. Il s’agissait d’une autre manœuvre destinée à faciliter la réélection de M. Bongo à la majorité relative, au lieu de la règle des 50% plus un.

Les deux précédentes victoires de Bongo ont été contestées comme frauduleuses par ses opposants. Après les élections de 2016, l’opposition a affirmé que le vote avait été truqué et a demandé un recomptage des voix, mais cette demande a été rejetée par la Cour constitutionnelle du pays. Dans un geste tout à fait scandaleux, qui montre à quel point le système est manifestement corrompu, la cour a partiellement modifié les résultats de l’élection âprement disputée, accordant au président Bongo 50,66% des voix et à son opposant, Jean Ping, 47,24%.

Le principal candidat de l’opposition cette année, Albert Ondo Ossa, s’était déjà plaint que de nombreux bureaux de vote ne disposaient pas de bulletins de vote portant son nom, tandis que la coalition qu’il représente a déclaré que les noms de certains de ceux qui s’étaient retirés de la course à la présidence figuraient toujours sur les bulletins de vote. Selon Reporters sans frontières, les médias étrangers ont été interdits d’entrer dans le pays pour couvrir le scrutin.

Contrairement au Niger, au Mali et au Burkina Faso, le Gabon n’a pas été touché par la violence jihadiste au cours de la récente période et était considéré comme relativement stable. Les causes immédiates du coup d’État, outre les élections frauduleuses, sont liées à la situation économique et sociale précaire, qui a désillusionné et enragé les masses. Selon la Banque mondiale, près de 40% des Gabonais âgés de 15 à 24 ans étaient sans emploi en 2020.

Le Gabon est membre du cartel pétrolier de l’OPEP, avec une production de quelque 181 000 barils de brut par jour, ce qui en fait le huitième producteur de pétrole de l’Afrique subsaharienne. Le Gabon est classé parmi les pays à revenu moyen supérieur, avec un PIB par habitant supérieur à celui de ses voisins. Toutefois, les indicateurs sociaux sont à la traîne par rapport à la richesse globale du pays.

Bien que l’économie gabonaise ait bénéficié des prix élevés du pétrole en 2022, la hausse des prix mondiaux de l’énergie a également entraîné des coûts fiscaux élevés. Cela a affecté les dépenses sociales pour la classe ouvrière et les pauvres. La reprise économique du Gabon a atteint 3,1 % en 2022. La balance commerciale et les finances publiques du pays ont bénéficié des prix élevés des matières premières. En conséquence, le Gabon a enregistré en 2022 son plus fort excédent budgétaire depuis 2014.

Cependant, l’impact de la guerre en Ukraine et les effets de la pandémie de COVID-19 sur les chaînes d’approvisionnement ont fait grimper les prix des denrées alimentaires et de l’énergie. Les couches les plus pauvres de la société gabonaise ont alors été touchées de plein fouet par la forte hausse de l’inflation. Alors, pour tenter de contenir la hausse du coût des subventions aux carburants, le gouvernement a décidé de « libéraliser » les prix des carburants pour les grandes industries, tout en maintenant les prix pour les ménages. En fait, il a fait porter le fardeau de la crise sur les dos des travailleurs et des pauvres.

En conséquence, les dépenses publiques consacrées aux subventions aux carburants ont énormément augmenté et représentent aujourd’hui 0,7% du PIB. Cela représente plus des deux tiers des dépenses de santé et plus de la moitié du budget public de l’éducation. Cette situation a mis à rude épreuve les gens ordinaires, qui peinent à joindre les deux bouts.

En 2021, le taux de chômage s’élevait à 21,8%. Il existe également un écart important entre le développement économique des populations urbaines et celui des populations rurales. De plus, les loyers urbains ont explosé en raison de l’exode rural vers les villes. Les loyers sont 155% plus élevés qu’en Afrique du Sud, l’économie la plus développée du continent. Quatre grandes villes abritent plus de 85% de la population gabonaise. À elle seule, cette situation représente une bombe à retardement.

33,4% de la population du Gabon vit dans la pauvreté, malgré l’immense richesse pétrolière du pays et sa petite population de seulement 2,4 millions d’habitants. Pendant ce temps, M. Bongo a déjà importé de la fausse neige au palais présidentiel, afin que sa famille puisse profiter d’un Noël blanc.

Les nuages s’assombrissent

Les manifestations de masse et les mouvements de grève organisés en 2019 par les enseignants, les étudiants et les travailleurs du secteur de l’éducation pour protester contre les nouvelles réformes des bourses d’études et des subventions universitaires ont été un indicateur clair de la tempête qui s’annonçait. Des semaines de manifestations étudiantes ont touché le pays. Des manifestations massives contre de nouvelles contre-réformes se sont étendues aux principales villes entourant la capitale, entraînant des rassemblements de protestation et encourageant des manifestations d’étudiants dans d’autres villes.

Ce mouvement puissant a ébranlé le régime. En réponse, le gouvernement a retiré la loi. Cependant, la colère n’a pas été apaisée, elle a seulement été mise en veilleuse. Le régime dans son ensemble était terrifié à l’idée que les élections frauduleuses et la perspective d’un nouveau mandat de l’impopulaire Ali Bongo, qui avait présidé à la période de crise, menaçaient de raviver le mouvement. Les officiers militaires ont donc décidé d’agir de manière décisive et de destituer Bongo, afin de couper court à une explosion sociale qui se préparait.

Après le coup d’État, des gens ont été vus en train de danser et de faire la fête dans les rues de la capitale, Libreville. Certains ont crié « Libérés! » en brandissant le drapeau gabonais dans le quartier de Nzeng Ayong, à côté de véhicules militaires. Compte tenu des inégalités criantes au Gabon et de la haine envers l’élite dirigeante corrompue, avec Bongo à sa tête, cette réaction n’est pas surprenante. Parmi ses compatriotes, il y a très peu de sympathie pour ce parasite déchu à la solde des impérialistes.

Un nouveau coup porté à l’impérialisme français

Ce dernier coup d’État est un nouveau coup porté à l’impérialisme français en Afrique. Un profond sentiment de haine à l’égard de l’impérialisme français traverse actuellement l’Afrique occidentale et centrale. Au Niger, qui a connu son propre coup d’État il y a quelques semaines, les manifestations anti-françaises se sont intensifiées après que l’ambassadeur de France a refusé de quitter l’ambassade à la suite de son expulsion par le gouvernement militaire.

La junte a réagi en coupant l’eau et l’électricité de l’ambassade. Immédiatement, des manifestations de soutien au gouvernement militaire ont éclaté, les manifestants portant des pancartes avec des slogans anti-français. Ils menacent actuellement de prendre d’assaut l’ambassade et une base militaire où sont stationnés des soldats français si l’ambassadeur ne part pas. Ce sentiment est répandu dans toute l’Afrique francophone.

Bongo est un allié de longue date de l’impérialisme français en Afrique centrale. À une époque où le sentiment anti-français se répandent dans de nombreuses anciennes colonies, M. Bongo, éduqué en France, a rencontré le président français, Emmanuel Macron, à Paris fin juin, et a partagé des photos d’eux se serrant la main. Comme on peut l’imaginer, cela n’a guère contribué à sa popularité.

Le porte-parole du gouvernement français, Olivier Veran, a déclaré que Paris condamnait le coup d’État au Gabon et souhaitait que le résultat des élections soit respecté. Plus tôt, la première ministre Elisabeth Borne a déclaré que la France suivait les événements au Gabon « avec la plus grande attention ». Lundi, le président Emmanuel Macron a dénoncé ce qu’il a appelé une « épidémie » de coups d’État ces dernières années en Afrique francophone, du Mali au Burkina Faso en passant par la Guinée et plus récemment le Niger.

Cette « épidémie » reflète en réalité une rage révolutionnaire généralisée contre la situation de plus en plus insupportable créée par la crise mondiale du capitalisme. Cette rage est combinée à un puissant sentiment anti-impérialiste qu’elle exacerbe. Mais en l’absence d’un mouvement de la classe ouvrière fort et organisé pour offrir une direction politique, des sections des forces étatiques sont capables de se hisser au pouvoir dans le sillage de l’effondrement de l’autorité de ces régimes suppôts de l’impérialisme, dans certains cas en s’appuyant sur ce sentiment et même en l’exprimant.

Le processus s’approfondit

Dans son discours annuel à l’occasion de la fête de l’indépendance, le 17 août, M. Bongo a déclaré : « Alors que notre continent a été secoué ces dernières semaines par des crises violentes, soyez assurés que je ne permettrai jamais que vous et notre pays, le Gabon, soyez les otages de tentatives de déstabilisation. Jamais. » Cet engagement, Bongo ne l’a manifestement pas tenu. Son renversement a mis fin à la mainmise de sa famille sur le pouvoir au Gabon depuis 56 ans.

Le Gabon est l’un des pays les plus riches d’Afrique sur le plan du PIB par habitant et était autrefois un important allié pétrolier de l’Occident et de la France en particulier. Faisant suite à une vague de coups d’État militaires dans les pays d’Afrique de l’Ouest, ce dernier putsch dans la région d’Afrique centrale a approfondi l’ensemble du processus.

En fait, il s’agit du huitième coup d’État dans les anciennes colonies françaises d’Afrique au cours des trois dernières années. D’énormes forces s’accumulent dans les profondeurs de la société, dans un pays après l’autre. Ces fissures au sommet de l’État sont le reflet de ces processus plus profonds. Les forces révolutionnaires de la révolution africaine se préparent.