Un régime à bout de souffle - Edito du n°13

De temps à autre, un journaliste exalté croit pouvoir annoncer l’imminente « reprise » de l’économie française. Dans un acte de foi plus que de science, certains avaient vu en 2016 l’année d’une possible « résurrection » de la croissance. Au final, l’Insee l’estime à 1,3 %, après 1,2 % en 2015. Hélène Baudchon, économiste chez BNP Paribas, table sur 1 % en 2017. [1]

Inutile de chercher des bonnes nouvelles dans l’environnement économique international. L’OMC a revu à la baisse ses prévisions de croissance du commerce mondial pour 2016, de 2,8 % à 1,7 %. C’est le plus mauvais chiffre depuis 2009. [2] Les tensions protectionnistes qui s’exacerbent entre l’Europe, la Chine et l’Amérique du Nord pourraient encore aggraver la situation. Ces dernières décennies, le commerce mondial a joué un rôle majeur dans la croissance globale du système capitaliste. Inversement, c’est une flambée de protectionnisme qui a transformé la récession des années 30 en Grande Dépression.

La crise actuelle est d’une telle gravité que n’importe quel choc peut précipiter une nouvelle récession mondiale. Et les nouvelles sources d’inquiétude se multiplient. La Deutsche Bank est menacée d’une amende de 12,5 milliards d’euros pour son rôle dans la crise des subprimes. Résultat : sa valeur boursière a dégringolé, entrainant dans son sillage d’autres valeurs bancaires. En Italie, les banques possèdent 360 milliards d’euros de dettes pourries, soit 18 % du montant total des crédits. L’UE réclame à l’Espagne de nouvelles coupes drastiques, dans un contexte politique de plus en plus explosif. En Chine, les bulles du crédit et de l’immobilier atteignent des niveaux sans précédent. A Shanghaï, les prix de l’immobilier ont augmenté de 38 % en un an ! La dette publique et privée chinoise s’élève désormais à 250 % du PIB [3]. C’est intenable. Tous les économistes sérieux redoutent « l’atterrissage » chinois – autrement dit, un crash, dont les répercussions internationales seraient considérables.

Le retard de la France

Dans ce contexte général, la compétition mondiale pour des marchés s’intensifie. Or depuis de nombreuses années, le capitalisme français perd du terrain, en particulier au profit de l’Allemagne. C’est que la bourgeoisie allemande a imposé aux travailleurs des contre-réformes drastiques. Entre 1997 et 2010, les salaires réels ont chuté de 10 %, outre-Rhin, et la productivité horaire du travail a bondi de 8 %. Voilà le secret de la « compétitivité » de l’économie allemande. Elle a été conquise sur le dos de la classe ouvrière.

En France, la bourgeoisie a pris du retard, dans ce domaine. Comparées aux besoins objectifs des grands capitalistes français, les contre-réformes des années Chirac et Sarkozy n’étaient que de timides et prudentes offensives. Bien sûr, les travailleurs – et les retraités – les ont durement ressenties. Mais avec le quinquennat de François Hollande et, en particulier, la loi Travail, ils commencent à comprendre ce qui se prépare, à savoir la remise en cause de toutes nos conquêtes sociales : limitation du temps de travail, conventions collectives, sécurité sociale, indemnisation du chômage, congés payés, services publics, accès à l’enseignement supérieur, etc. Bien sûr, les retraites sont à nouveau dans le collimateur.

Les 7 mercenaires (ou salopards)

Il suffit d’écouter les sept mercenaires des Républicains pour prendre la mesure de ce qu’exige la classe dirigeante française. C’est à celui qui promet les coupes les plus profondes et les plus rapides dans les dépenses publiques, en même temps qu’un transfert massif de richesses dans les caisses du patronat.

La politique réactionnaire menée par François Hollande, depuis 2012, a préparé le terrain d’une possible victoire de la droite en 2017. Mais il est plus facile d’annoncer du sang et des larmes sur un plateau de télévision, face à des journalistes complaisants, que de mettre en œuvre cette politique le moment venu. Si la bourgeoise française a fait preuve d’une relative prudence, par le passé, c’est précisément parce qu’elle connait et redoute les grandes traditions du mouvement ouvrier français. A cet égard, la mobilisation contre la loi Travail et les Nuits Debout lui ont envoyé un nouvel avertissement. Et ce problème reste entier, de son point de vue de classe.

Le soi-disant « modéré » Alain Juppé peut bien fanfaronner en expliquant qu’il gouvernerait par ordonnances, afin de prendre tout le monde de vitesse, à commencer par le mouvement syndical. Sur le papier, cela fonctionne. Dans la réalité, c’est une autre paire de manches. Les travailleurs français ne vont pas accepter sans réagir les attaques annoncées par la droite, qui sont d’une gravité inédite. C’est d’autant plus évident que la colère et la frustration atteignent déjà des niveaux très élevés. Toute la société française est travaillée par un sentiment de profond malaise – comme en témoignent les manifestations spontanées de policiers qui stupéfient le pays, à l’heure où nous bouclons ce journal. Il est clair que ces manifestations pourraient faire le jeu de la droite, au final. Mais lorsque les « hommes en armes » de la bourgeoisie – son appareil d’Etat – sont en colère contre leurs maîtres, c’est le symptôme évident d’un régime à bout de souffle.

Réforme et révolution

De son côté, François Hollande fait manifestement tout son possible pour accroître l’ambiance de fin de règne qui se dégage des sommets de l’Etat. Il donne l’impression de vouloir réussir au moins une chose : sa propre chute. En témoignent ses « confidences » d’un cynisme total et assumé, dans un livre où il écharpe ses plus proches collaborateurs.

Que le candidat du PS pour 2017 soit François Hollande ou Manuel Valls, sa défaite est pratiquement certaine. Le PS n’en a pas fini avec sa propre crise. Nous devons, nous, en tirer des conclusions positives, dès maintenant. Pour 2017, il faut donner à la colère des jeunes et des travailleurs une expression politique claire, en rupture avec le PS – pseudo-frondeurs et ex-ministres compris. Toutes les conditions d’une cristallisation de gauche massive sont réunies. C’est ce que prouve, déjà, la progression régulière de la candidature de Jean-Luc Mélenchon, dans l’opinion. Il faut se mobiliser à travers son mouvement, la « France insoumise », et lui imprimer une orientation radicale.

Le programme de la France insoumise – L’avenir en commun – comprend des centaines de mesures économiques et sociales progressistes, dont la mise en œuvre se traduirait par une amélioration très nette des conditions de vie de la vaste majorité de la population. Cependant, beaucoup de travailleurs qui liront ce programme nous diront : « Très bien. Mais comment vous comptez faire tout cela ? Comment vous financez ces mesures ? En Grèce, Tspiras avait ce genre de programme, lui aussi. Voyez où il en est. » Il faut apporter une réponse sérieuse à ces interrogations légitimes. La voici : il faudra – à la différence de Tsipras –  mener la lutte jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’à l’expropriation des banques et des grandes entreprises du pays, jusqu’à la conquête du pouvoir par les travailleurs eux-mêmes – jusqu’au socialisme. Il n’y aura pas d’autres moyens de faire échec à la résistance et au sabotage de la classe dirigeante. Les réformes progressistes ne pourront être mises en œuvre que dans le cadre d’une révolution.


[1] Le Figaro du 6 octobre.
[2] Le Figaro du 28 septembre.
[3] Le Figaro du 20 octobre.